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Pour un projet concerté entre agriculteurs et territoire

Depuis 1999, à l’initiative d’un groupe d’agriculteurs du Pays de Loudéac-Mené, en Centre Bretagne, une action originale de rénovation du maillage bocager s’est peu à peu organisée. En 2006, elle avait réuni près de 300 participants sur quinze communes, implantant ensemble 200 km de nouveaux linéaires reliés entre eux et avec les reliques, parfois bien ténues, du bocage ancien.

Photo de couverture : Alain Amet

Les remembrements réalisés sur la totalité de ces communes ont supprimé 60 à 80 % du linéaire bocager, engendrant une modification brutale du paysage, entre 1959 et 1990 selon les communes. Depuis, loin de se régénérer, le bocage « épargné » a poursuivi sa disparition de façon diffuse, nécessitant la mise en place de projets bocagers (Action Bocage).

On peut comparer la situation du bocage à celle d’une maison oubliée dont les murs s’écroulent peu à peu depuis 30 ans. Si un mur ou une maille tombe, les autres sont fragilisés Si cette évolution se poursuit dans les années 2000-20015, le bocage aura disparu dans une génération. 
Cette évolution est aussi le fruit d’une inaction et d’une désappropriation. La perception du bocage (tant des urbains que des jeunes agriculteurs) évolue vers celle d’un « patrimoine naturel », à protéger de l’agriculture en oubliant que ce paysage est une construction humaine issue d’une culture agricole.

C’est davantage la déconnexion du réseau de haies qui fragilise le bocage et accélère sa disparition. Le lien et la cohérence entre les haies (entre elles et avec les parcelles) permet au bocage de mieux protéger les troupeaux des intempéries, les cultures du vent et du froid, les sols de l’érosion, l’eau des polluants et de créer un habitat pour une faune et une flore variées, et plus largement un paysage capable de renouveler ses ressources pour l’avenir.
Pour rénover ce paysage, comme on le ferait d’une maison, l’urgence consiste à ne pas favoriser l’écroulement, en plantant de jeunes arbres en lien avec le bocage ancien. Comme on pose de nouvelles pierres pour soutenir d’anciens murs, en repérant et renforçant les murs porteurs, il faut ici consolider les éléments majeurs : ceintures de fonds de vallée, épaulements entre plateaux et versants, chemins… Il s’agit ainsi de freiner l’érosion de l’existant et d’augmenter le rythme des plantations connectées entre elles. 
En s’appuyant sur cette logique, 300 agriculteurs et une dizaine de communes de la région de Loudéac–Mené ont participé depuis 2000 à l’implantation de 190 kilomètres de haies liées à leurs îlots de culture, (+ 5 à 10 mètres/ha), limitant du même coup l’érosion du patrimoine bocager hérité des générations précédentes.
Cela fut possible en organisant une concertation entre un maximum d’agriculteurs et de propriétaires motivés, en s’accordant sur un choix judicieux d’emplacements associant intérêts agronomiques et environnementaux, puis en déployant des moyens opérationnels pour les travaux d’implantation et d’entretien, avec le renfort d’entreprises agricoles et sylvicoles.
Ces tâches sont un investissement pour l’avenir et ont un coût que ne peuvent porter seuls les agriculteurs, car il n’y a aucune rentabilité immédiate individuelle à planter des arbres autour de ses champs. Il y a un intérêt à la fois collectif et de long terme, mais rien à vendre sur le marché et c’est pourquoi ces actions ont besoin d’un soutien public, comme celui obtenu pendant quelques années auprès de l’Europe et du département. 
La génération agricole actuelle a un rôle décisif à jouer quant au devenir du bocage. Elle peut soit laisser conclure sa disparition « passive », arbres après arbres, soit le « réinventer » et le recomposer de façon volontariste.

Thierry Guehenneuc
technicien et animateur agri-forestier.
Il a développé des dynamiques agricoles d'amélioration du bocage
depuis le début des années 1980. Son point d'ancrage est le Méné,
où il travaille avec une association d'agriculteurs promouvant une
culture agricole du bocage, innovante et collective.