Actualités

Fest-noz en Centre-Bretagne : une mode « Kozh* » ?

Fest-noz à Poullaouen ©Éric Legret

“Berceau de la tradition”, “Mecque de la danse”, “eldorado du kan ha diskan” On ne tarit pas d’éloges quand il s’agit de qualifier la qualité des festoù-noz en Centre-Bretagne. Depuis 1957, date supposée du premier fest-noz moderne organisé en salle par Loeiz Roparz et ses acolytes (à Poullaouen), il s’en est écoulé des gavottes sur le plancher. Ces dernières années encore, les centre-bretons sont parvenus à valoriser leur savoir-faire en organisant nombre d’événements. Mais les incertitudes qui planent sur les associations organisatrices, sans même parler d’une année 2020 presque blanche, suscitent des inquiétudes chez les organisateurs quant à l’avenir du fest-noz. 

Une terre de festoù-noz
Traditionnellement célébré à la fin des journées de travaux agricoles dans les fermes du Centre-Bretagne, devenu ensuite « bal breton » institutionnalisé après-guerre, le fest-noz est depuis 2012 inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Une longue épopée qui fait du Centre-Bretagne le terreau historique d’une pratique répandue et désormais reconnue. Le pays COB correspond d’ailleurs presque exactement à l’aire d’origine géographique de la forme traditionnelle du fest-noz, allant du pays Dardoup (Châteauneuf-du-Faou) au pays Fañch (Saint-Nicolas-du-Pélem), et du Nord du Poher (Scrignac) au pays Pourlet (Guémené-sur-Scorff). Pourtant, ces dernières années, c’est dans les villes et sur la côte que résonnent le plus plinns* et autres gavottes. Les chiffres de l’observatoire du fest-noz (association Tamm-Kreiz) montrent bien que le nombre de festoù-noz organisés dans une commune est corrélé à sa taille et donc à sa densité de population. Or, le pays COB est essentiellement rural. Un obstacle en apparence seulement comme le prouve la centaine de festoù-noz organisés par an en moyenne sur l’ensemble du territoire COB (103 en moyenne par an sur les dix dernières années).

Un atout pour les communes
Les communes du pays parviennent à proposer une véritable offre festive à leur population et à leurs visiteurs. Offre qui s’étend tout au long de l’année, avec des creux mais sans véritable temps mort. Et si, sur les dix dernières années, c’est respectivement dans les villes de Carhaix, Gourin et Spézet que l’on trouve le plus d’occasions de danser, ce sont les communautés de communes des Monts d’Arrée et du Kreiz Breizh qui ont le plus grand ratio de festoù-noz par habitant. De manière générale, même les petites communes sont représentées : seules 7 des 79 qui composent le pays n’ont pas accueilli de danseurs durant cette période. C’est une véritable économie culturelle, vertueuse à plusieurs égards pour les communes : création d’emplois, rayonnement culturel, soutien au commerce local, cohésion sociale, dynamique associative…

Des chiffres en baisse
Pourtant, depuis plusieurs années, le constat est sans appel : moins de public et moins d’événements organisés. La tendance est générale en Bretagne, elle est moins marquée en Centre-Bretagne du fait de réseaux associatifs historiquement ancrés et d’un vivier d’artistes encore très présent. Autre spécificité dans ce contexte : « Le territoire possède encore l’aura et les sonneurs qui lui permettent de rassembler une foule en nombre avec des programmations sans groupes en tête d’affiche » témoigne un professeur de danse bretonne. Certains appellent ces formules « le fest-noz trad’ », ou « fest-noz mod kozh* » : habillage artistique dans son plus simple appareil instrumental, couple de sonneurs, kan ha diskan, setu tout* ! Pour preuve du succès de ces rendez-vous, le Printemps de Châteauneuf, la Nuit de la gavotte à Poullaouen ou encore le fest-noz anniversaire de Marcel Guilloux à Plounévez-Quintin en 2019 ont été parmi les événements les plus rassembleurs.

Des réseaux souvent fragiles
Des atouts certes, mais des menaces réelles aussi, et ce bien avant l’apparition du Covid-19. Au début des années 2000, les festoù-noz étaient portés par une grande variété de structures diversifiées. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. « Le fest-noz peut avoir tendance à se resserrer aujourd’hui autour d’une même typologie d’organisateurs gravitant autour des associations culturelles bretonnes (cercles, bagads, cours de bretons, écoles Diwan…) », reconnait un musicien connaisseur de la scène « là où clubs de foot et sapeurs-pompiers n’hésitaient pas à organiser leur fest-noz il y a encore quelques années ». Ce phénomène, bien réel, est doublement pénalisant : il attire moins le public « non acquis à la cause » en même temps qu’il épuise le « noyau dur » des organisations, pour qui le fest-noz, porté à bout de bras, peut être considéré comme un acte militant. « On continue même parfois à organiser des festoù-noz à perte », et les associations sont tiraillées entre des coûts d’organisation que ne couvrent plus des tarifs bas (prix d’entrée moyen 7 euros, avec parfois des plateaux d’artistes de plusieurs milliers d’euros), et la volonté de maintenir accessible l’entrée au plus grand nombre, et notamment aux jeunes, véritable cible dont dépendra la suite de cette aventure.

Marc-Antoine Ollivier
Responsable de la promotion/diffusion des productions

Article paru dans Le Poher
Semaine du 16 au 22 décembre 2020

*Kozh : vieux – mod kozh : traditionnel
*Setu tout : voilà tout
*Fisel : Danse traditionnelle de la région de Maël-Carhaix, Rostrenen
*Plinn : Danse traditionnelle de la région de Saint-Nicolas-du-Pélem (dit pays Plinn ou Fañch)

Trois questions à Guirec Milot, coordinateur de la Fiselerie, à Rostrenen

Guirec, pouvez-vous présenter votre association ?
La Fiselerie a été créée en 2009 pour prendre le relais de l’organisation du Festival fisel à Rostrenen. Portés à la fois sur les musiques du monde, traditionnelles et populaires, nous gardons aussi un pied bien ancré dans les musiques bretonnes. Nous valorisons toutes ces dimensions par l’organisation de concerts, festoù-noz, conférences… Et ce toute l’année dans la région de Rostrenen et même au-delà.

Quel diagnostic portez-vous sur l’état des festoù-noz après l’année que nous finissons de traverser ?
Évidemment les bilans sont sombres, pour nous comme pour tous les autres. Heureusement, les artistes professionnels ont pu bénéficier d’aides. Pour les amateurs, par contre, cela risque de freiner un élan déjà difficile à entretenir en temps normal. Dans ces moments, on perçoit bien aussi la réalité en même temps que la fragilité de tout l’écosystème économique qui gravite autour du fest-noz (prestataires, techniciens…) et qui est impacté directement.

Comment envisage-t-on la suite dans ces conditions lorsqu’on est organisateur ?Cette situation replace tout de même au centre ce besoin viscérale, essentiel, presque vital de danser et de se retrouver, et que nous témoignent quotidiennement des habitants d’ici. On a même vu apparaître en Centre-Bretagne des fest-noz clandestins. C’est-à-dire que certains sont prêts à braver les interdits et nos peurs collectives pour danser du fisel ou de la gavotte ! Même ici, je crois qu’on n’a pas conscience de ce que représente et véhicule encore aujourd’hui le fest-noz. En tout cas, c’est à ne pas sous-estimer.

Informations

Article publié le