Colloque sur « la grève du Joint français, printemps 1972 »

Appel à communication

Au printemps 1972, le personnel, en grande majorité féminin, du « Joint français », entreprise parisienne dont le site de production se trouve à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord alors), entame un long mouvement de grève. Les grandes lignes en sont connues et la grève du « Joint » figure dans les chronologies de la France pompidolienne. On retient en général du mouvement son combat pour la dignité, mettant industriels et élus en face des contradictions de leurs discours sur l’industrialisation provinciale, faite au prix d’écarts de salaires considérables entre Paris et les « périphéries » lointaines. De ce point de vue, la célébrissime photo de Jacques Gourmelen (6 avril 1972) montrant l’ajusteur Guy Burniaux face à son ancien camarade de classe, le CRS Jean-Yvon Antignac, dit beaucoup mais sans doute pas assez.

On néglige en effet trop souvent qu’il s’est agi d’une grève particulièrement longue et difficile, mais fortement soutenue à l’échelle de la Bretagne historique – pas seulement la région de programme – et qu’elle fut, à l’instar des Lip de Besançon, l’une des dernières victoires ouvrières contre le patronat avant la crise de 1974 excusant tout. Victoire salariale et plus largement populaire n’est toutefois pas synonyme de victoire d’appareils démontrant leur efficacité. Ni les syndicats – CFDT exceptée – ni les deux principaux partis de gauche, notamment le PS au lendemain du congrès d’Épinay (11-13 juin 1971), ne furent au début très clairs dans leurs engagements. Il est vrai que la bataille pour le contrôle de la majorité municipale se dessinait déjà entre anciens PSU et nouveaux PS tandis que les communistes refusaient de jouer les arbitres locaux, sur fond de signature du Programme commun (juin 1972) et, sur l’autre bord de l’échiquier politique, de remise en cause du gouvernement Chaban-Delmas par les « gaullistes d’ordre ». Cela dit, on ne peut négliger l’exceptionnelle richesse du terreau syndical de Saint-Brieuc devenue industrielle au 19e siècle, solidement ancrée dans la lutte sociale depuis les années 1930 et ayant tissé quelques solides liens avec ses voisines, telle Guingamp, dans le combat anticolonialiste. Sans oublier que, si un fort courant laïc existait, un vigoureux « catholicisme bleu » (avant de devenir rose) savait tenir la hiérarchie en respect comme il l’avait fait vingt ans plus tôt autour des prêtres-ouvriers ou en 1969 lors du synode diocésain.

Mais ce qui frappe le plus dans la grève au Joint français, c’est la mobilisation inédite de la jeunesse scolarisée bretonne, fille de 1968 et des universités de Rennes en plein essor, à la fois internationaliste par l’influx maoïste, marquée dans son immense majorité par son rapport à un espace jusque-là rural et qui contribua au financement de la résistance. Derrière les mécanismes de solidarité calqués sur ceux créés à l’occasion des catastrophes naturelles ou industrielles (aides aux marins ou aux sardinières), il faut insister sur le recours aux vecteurs culturels de l’action collective, en particulier musicaux ou poétiques. Alors que l’engagement de la Bretagne en mai-juin 1968, au-delà des grandes manifestations du 8 mai et sauf quelques exceptions comme à Saint-Brieuc, avait frappé par une certaine atonie, 1972 représenta un concentré d’initiatives et de mots d’ordre posant des enjeux à bien plus grande échelle qu’une simple usine.

Le colloque qui se tiendra à Saint-Brieuc en mai 2022 pour le cinquantenaire de l’évènement, entend à la fois revenir sur celui-ci, enrichi des travaux qu’il a suscités, le réinsérer dans les contextes locaux, régionaux et nationaux et s’ouvrir sur de nouvelles perspectives. Trois domaines paraissent pertinents à cet égard.

D’une part, il semble nécessaire d’examiner les mouvements sociaux similaires dans la temporalité courte de la France pompidolienne – et dans quelques pays voisins, tel le Royaume-Uni – afin d’interroger l’autonomie des acteurs face aux pouvoirs constitués, incarnés par le préfet et la Direction de l’Industrie favorables au CNPF. Si chaque contexte de travail est singulier, provoquant des divergences notables, certains indices signalent des similitudes. Ainsi, de nombreux militants s’affranchirent des consignes syndicales ou partisanes, plaçant leurs convictions devant leurs étiquettes. À cet égard, il serait utile de revenir sur les conditions d’embauche, de travail et de rémunération salariale dans cette époque présentée aujourd’hui encore comme un âge d’or, celui des « Trente Glorieuses ».

D’autre part, formes et moyens de la mobilisation populaire interrogent les capacités de renouvellement du répertoire d’action en même temps que l’émergence de voix régionales spécifiques, posant à nouveaux frais la question des liens entre culture et espace. On ne peut nier qu’en plein débat sur l’autonomie, le développement économique et ses incidences identitaires soient venus perturber les préoccupations des acteurs, les grandes pollutions marines ou nucléaires ne faisant dans la seconde moitié des années 1970 que renforcer les tensions. Mais la fabrique de scènes culturelles régionales à la croisée des festivals estivaux, des pardons traditionnels et des concerts de MJC, paraît aussi avoir répondu à de nouveaux besoins que la radio monopolistique (encore) ou le théâtre d’action militante ne satisfaisaient pas.

Enfin, l’inévitable mémoire ouvrière doit être interrogée. Partielle, voire sélective, elle tend à occulter – pour ne pas dire ici effacer – la place des femmes, premières concernées par le mouvement et doublement stigmatisées parce que provinciales et femmes justement. Une réévaluation des paroles s’impose donc, tant au plan des témoignages que des mécanismes conscients ou non de mise à l’écart. Si la couverture médiatique ou le cinéma prolétarien montrent combats et mobilisations de cette période avec acuité, qu’insinuent les images ou les commentaires dans la chronologie courte relative aux droits des femmes ? Mémoires des femmes, donc, mais aussi mémoires des lieux, voire des faits présentent ici la difficulté supplémentaire d’un refoulé, pour ne pas dire d’un refusé. En stigmatisant durablement la victoire ouvrière et en l’érigeant comme repoussoir à « l’entreprise » comme seule catégorie du pensable, le discours politique a fait pencher la créativité d’un côté aux dépens de l’autre, en même temps que l’élision des traces dans la ville a culpabilisé – à tort – un espace. Assumer n’est pourtant ni renoncer ni réécrire.

Les brèves propositions de communication (un titre et un résumé de 1 000 signes, espaces compris, maximum) sont à adresser avant le 30 septembre 2021 à : et/ou à

Comité d’organisation :
Patrick Harismendy (Université Rennes 2 – CRBC, EA 4451-UMS 3554), Gilles Richard (Université Rennes 2 – Arènes, UMR-CNRS 6051)

Comité scientifique :
Patrick Harismendy (Université Rennes 2), Tudi Kernalegenn (Bretagne Culture Diversité), Elisabeth Renault (Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc), Gilles Richard (Université Rennes 2)