An delenn - la harpe celtique

Auteur : Armel Morgant / décembre 2016
Le premier mouvement de renouveau de la musique traditionnelle bretonne des années 1940 avait pris pour référence le très emblématique couple bombarde-biniou. En pleine période folk pendant les années 70, il fut pris pour emblème un instrument à cordes, alors nouvellement apparu, la harpe dite « celtique ».

Une histoire qui commence avec le romantisme

C’est véritablement à l’aube des années 1970 que la « harpe celtique » s’est popularisée en Bretagne. On entend par là un instrument inspiré de ceux de l’Irlande et de l’Écosse d’autrefois, dont nous sont restés quelques rares exemplaires. Longtemps elle fut connue comme « harpe irlandaise » ou « petite harpe » (avec ses quelque trente cordes) en comparaison avec la « grande harpe classique » (avec ses quarante-sept cordes et son système de pédales).

Le phénomène s’est préparé pendant près de deux siècles. Il remonte au romantisme, et peut-être même à l’Ossian de l’Écossais James MacPherson, paru au XVIIIe siècle, que son auteur disait être l’œuvre d’un très ancien barde écossais. L’un des événements déterminants dans cette histoire fut certainement la lettre reçue par Hersart de La Villemarqué de la part du pasteur gallois Thomas Price lui demandant, comme allant de soi : « Qu’en est-il aujourd’hui de la harpe en Bretagne ? » À la suite d’un voyage au pays de Galles, au cours duquel l’auteur du Barzaz-Breiz prit contact avec des harpistes, un harpiste gallois, accompagné de sa fille, fut invité à l’occasion du congrès celtique de 1867. Encore ceux-ci jouaient-ils de la harpe galloise, qui n’a déjà plus grand-chose à voir avec ce qu’on entend aujourd’hui par harpe celtique.

Les pionniers de la harpe en Bretagne

Le premier Breton à s’être mis à une harpe celtique est Paul Diverrès. Originaire de Lorient, il avait étudié la médecine à Paris, où il avait pris des cours auprès d’une harpiste classique. Membre et harpiste officiel du gorsedd, assemblée des « druides » de Bretagne, il épousa une harpiste galloise, et finit ses jours outre-Manche. Des photos du début du XXe siècle le montrent jouant d’une harpe Egan de fabrication irlandaise lors de manifestations néodruidiques. Il ne fit pas école, et Mme de Boisboissel, adepte, elle, de la harpe classique, lui succéda à ce poste.

Dans les années 1930, ce même gorsedd invita la harpiste écossaise Eloise Russell Fergusson à se produire en Bretagne. Gildas Jaffrenou en profita pour relever les cotes de l’instrument, et fabriqua la première harpe « celtique » de Bretagne, qui s’avéra non jouable.

L’invention de la « harpe celtique »

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que tout se concrétisa, grâce à Georges Cochevelou, Gourinois de Paris. Durant l’Occupation, il était entré en contact avec le professeur de harpe du conservatoire de Clermont-Ferrand, M. Hamonic, propriétaire d’une harpe irlandaise qui pour lui ne fut jamais qu’un instrument de voyage. Dans l’immédiat après-guerre, G. Cochevelou prit contact avec Gildas Jaffrenou qui, depuis la Grande-Bretagne, lui communiqua des plans d’instruments. Il fabriqua alors sa première harpe pour laquelle son fils Alain se prit de passion. Après avoir pris des cours auprès de Denise Mégevand et s’être fait connaître dans les milieux bretons, puis dans le monde du folk des années 1970, celui-ci se lança dans le show-business sous le pseudonyme d’Alan Stivell, popularisant l’instrument au niveau international.

Harpe Cochevelou

On peut lire à l’intérieur de cette harpe l’inscription laissée par Georges Cochevelou :
“Ijinet, aozet ha kampennet on bet gant an Ao. Cochevelou e bl 1967 war an amboaz d’an Dim Anaig Renaod. Me a gano ho meleudi war an Delenn, o Doue, va Doue. »
« J’ai été imaginée, conçue et préparée par M. Cochevelou en l’an 1967. A l’intention de mademoiselle Annaig Renault. Je chanterai vos louanges à la harpe, ô Dieu, mon Dieu. »
Photo : Les enfants d’Annaig Renault

 

Au début des années 1950 s’était également monté au sein de la communauté scoute bretonne de Paris un ensemble féminin de harpes, la Telenn Bleimor (la « harpe Bleimor »). La plupart de ses membres se sont fait un nom, qui dans la musique bretonne, qui dans la musique ancienne, voire dans l’enseignement : Mariannig Larc’hantec, Rozenn Guilcher, Kristen Noguès, Françoise Johannel en sont issues. On peut considérer que c’est grâce à ce double mouvement, parisien d’origine, que la harpe celtique a véritablement pris son essor.

Le « phénomène Stivell » et la popularisation de l’instrument

À partir des années 1970, on a pu constater un intérêt de plus en plus prononcé pour l’instrument. En Bretagne, d’abord : dans les milieux folkloriques, dans les écoles, puis dans les conservatoires, puisque la harpe celtique finit par y faire son entrée comme instrument d’étude puis comme un instrument à part entière, auquel des compositeurs de formation classique comme Pierre-Yves Moign ou Pierrick Houdy ont destiné des œuvres. Bon an, mal an, quelques centaines d’élèves se lancent chaque année dans son apprentissage.

Depuis les années 1980, elle a aussi son propre festival, qui se tient chaque mois de juillet : les Rencontres internationales de harpe de Dinan.

Longtemps la fabrication des harpes celtiques fut en Bretagne l’apanage de rares artisans spécialisés. Outre Georges Cochevelou, dont la production resta confidentielle, les plus importants furent Gildas Jaffrenou, Claude Le Roux et Marin Lhopiteau. La demande allait toutefois provoquer l’intérêt, voire la création d’une grande manufacture. Si l’une des plus importantes fabriques de harpes a en effet vu le jour à Mouzeil, en Loire-Atlantique, c’est bien grâce à la harpe celtique. Dans les années 1970, les frères Joël et Gérard Garnier fondèrent la firme Camac, qui commença par proposer des instruments traditionnels de diverses provenances, notamment des harpes celtiques importées du Japon. La firme se spécialisa par la suite dans la harpe, et, passant de la harpe celtique à la harpe classique, devint le deuxième producteur mondial de ces instruments.

Singulier destin que celui de cet instrument longtemps rêvé, imaginé, avant de prendre forme en Bretagne et de se tailler une place originale dans le paysage musical contemporain.

Affiche des Rencontres internationales de harpe à Dinan

Prenant le relais d’une manifestation organisée à Saint-Brieuc au tout début des années 1980, les Rencontres internationales de harpe de Dinan sont devenues le plus important rendez-vous de harpistes de Bretagne. Ceux qui pratiquent la harpe celtique y sont bien évidemment en majorité, mais on peut également y entendre des musiciens pratiquant aussi bien la harpe sud-américaine que la kora africaine.

 

CITER CET ARTICLE

Auteur : Armel Morgant, « An delenn - la harpe celtique », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 2/12/2016.

Permalien: http://www.bcd.bzh/becedia/fr/an-delenn-la-harpe-celtique

Travaux universitaires

  • Larc’hantec Mariannig, De la harpe à la harpe celtique – Exploration multifactorielle d’une spécialité de la musique bretonne, Université européenne de Rennes 2, 2013.

Livres

  • Stivell Alan, Racines interdites/Gwriziad difennet, Éditions Jean-Claude Lattès, 1979.
  • Stivell Alan & Verdier Jean-Noël, Telenn, la harpe bretonne, Éditions du Télégramme, 2004.
  • Bourdelas Laurent, Alan Stivell, Éditions Le Télégramme, 2012.
  • Jigourel Thierry, Harpe celtique – Le temps des enchanteurs, Celtics Chadenn, 2004.
  • Larc’hanteg Mariannig, La harpe, instrument des Celtes, Coop Breizh, 2013.
  • Ouvrage collectif, Identité de la harpe celtique, C.RI.H.C. Dinan & ADDM 22, 1994.
  • Comité des Rencontres internationales de Harpe celtique, Anthologie de la Harpe – La Harpe des Celtes, Éditions de la Tannerie, 2001.

Articles

  • Morgant Armel, « Les harpes Le Roux », ArMen n° 3 ; « La harpe irlandaise », ArMen n° 83 ;, « 200 ans d’histoire de la harpe en Bretagne », ArMen n° 140 ; « L’épopée des harpes Camac », ArMen n° 162.

CD

  • La harpe celtique – L’Anthologie, vol. 1 et 2, Coop Breizh (CD 951 et CD 976).

DVD

  • Alan Stivell – Parcours, Pathé 450936.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité