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Innover pour conserver

Photo de couverture : Marc Rapillard

Un lien fort unit le bocage et les sociétés au travers des usages. Ceci s’est toujours traduit par des évolutions : évolution des formes du parcellaire, évolution des techniques d’émonde, donc de la forme des arbres. Les bocages ont été construits pour certaines fonctions et souvent préservés, réaménagés, pour d’autres. Il faut considérer les variations du bocage comme liées aux diverses formes de modernisation de l’agriculture, comme ce fût le cas depuis un siècle. Une phase d’intensification de l’élevage, de partage des terres a conduit à la construction de nombreux talus au XIXe siècle. La phase d’intensification par la mécanisation, (des années 1960 à maintenant), a, au contraire, amené des arasements massifs.

Actuellement les tensions sont fortes entre d’un côté la volonté de reconstruire des bocages pour des objectifs de protection contre le vent, d’esthétisation des paysages, de préserver la qualité de l’eau et la biodiversité et, de l’autre, un souhait des agriculteurs de diminuer leur charge de travail en agrandissant les parcelles et en réduisant le temps passé à l’entretien des haies.

L’option de muséification des paysages, quelle qu’elle soit ne peut être que limitée dans l’espace. Elle pose la question de l’état que l’on veut conserver : celui de 1850 ou de 1950 ? Avoir des musées du paysage, où les techniques de gestion sont perpétuées a un intérêt culturel et éducatif, mais ce ne peut être une forme de gestion globale de l’espace. Pour une préservation généralisée, il faut valoriser les bocages, donc innover.

Le bocage joue un rôle majeur pour la préservation de la qualité de l'eau des rivières. Photographie : Marc Rapilliard

Le premier point d’innovation se base sur le fait que l’on est passé d’une forte proximité à une forte distance entre gestionnaires et utilisateurs du bocage.

Les attentes d’une société urbaine diffèrent de celles des gestionnaires, que sont les agriculteurs. Ce fait est pris en compte par la Convention Européenne du paysage qui parle de la perception « des populations » sans que ce soit nécessairement les populations locales.

Pour avancer sur ce point, il faut envisager deux types de valorisation du bocage :

  1. le bocage comme moyen de limiter les atteintes à l’environnement. Dans le cadre du principe pollueur/payeur, le coût supporté pour l’entretien est un coût de « dépollution ». Ceci ne peut être envisagé que pour un collectif d’agriculteurs, sur un petit territoire.
  2.  le bocage comme production d’aménités, de services rendus à la société qui, dans ce cas, doit participer au coût d’entretien.

 

De toute façon, il convient d’envisager des politiques publiques à toutes les échelles - de l’Europe à la commune - qui associent l’ensemble des citoyens à la définition d’objectifs paysagers. C’est bien ce qui se passe avec certaines opérations communales de réaménagement des bocages.  Dans ces opérations collectives territorialisées, il faut inclure les collectivités et les résidents non-agriculteurs qui gèrent une partie des haies en ne prenant pas toujours en compte les critères culturels ou environnementaux. 

Si l'agriculture intensive s'accommode mal avec la présence de haies, celles-ci peuvent en revanche contribuer à la protection des cultures et au respect de l'environnement dans un nouveau contexte de production durable et responsable. Photographie : Marc Rapilliard

Le deuxième type d’innovation a trait au mode de conduite des haies. La forme des haies et la taille des arbres correspondent à des usages. Le changement d’usage entraîne nécessairement des changements de forme. C’est ce que traduisent les haies nouvelles que l’on distingue si bien dans le paysage. Quand on les observe attentivement on voit aussi que de nouvelles techniques de taille sont utilisées, faisant appel à diverses machines (lamier, etc.), mais aussi que la conduite ne révèle rien sur un usage ultérieur (production de bois, brise-vent). Bien souvent, il s’agit surtout « d’empêcher les branches de dépasser sur le champ ». Nous sommes dans une phase de transition des amènes, des reconfigurations qui est aussi une phase d’essais de nouvelles formes non stabilisées.

Les formes des haies anciennes, traditionnelles, évoluent aussi fortement, avec des tailles qui dépendent de plus en plus de l’utilisation des parcelles une année donnée. Auparavant, ces haies avaient une conduite autonome fortement réglée par les besoins des agriculteurs. Dans une période aux usages incertains, les modes de conduite varient. On verra sûrement apparaître de nouveaux paysages, avec de nouvelles fonctions, de nouvelles formes de haies, de nouvelles haies. 

Les nouveaux modes de gestion des haies, les matériels correspondants, doivent tenir compte de leurs fonctions économiques. Les productions de bois d’œuvre, de bois de chauffage, de piquets ou de bois déchiqueté nécessitent des entretiens adaptés aux besoins. Ici, un lamier pour maîtriser l'emprise de la haie en largeur.

Le troisième type d’innovation concerne le rôle du bocage pour la production agricole elle-même, c'est-à-dire la réintégration du bocage dans les systèmes de production. L’artificialisation des modes de production agricoles (engrais, pesticides, mécanisation) ont donné à penser, pendant une période que les agriculteurs pouvaient maîtriser la production à l’échelle de la parcelle en réduisant au minimum les interactions biologiques telles que la présence d’ennemis des cultures et des auxiliaires. La fertilisation pouvait aussi compenser l’absence des effets des haies sur le microclimat (augmentation des températures).

Dans un contexte agricole où il faut à la fois diminuer les coûts de production et respecter l’environnement, le bocage peut jouer, à nouveau, un rôle important dans la production agricole.

  • La première fonction des bocages est une fonction d’aménagement : protéger les sols contre l’érosion et les cours d’eau contre les ruissellements directs. Ceci permet aussi d’avoir des parcelles homogènes d’un point de vue agronomique, donc plus facile à utiliser. Outre la limitation des nuisances à l’extérieur de la parcelle, ces aménagements limitent aussi les pertes de matière organique et d’éléments fertilisants.
  • Les haies sont aussi nécessaires au développement de systèmes d’élevage herbagers, en plein air, qui correspondent à la demande croissante des consommateurs et au besoin de gestion « durable » des territoires.
  • Le rôle du bocage dans la protection des cultures est mis en avant depuis longtemps, sans aboutir à des résultats réellement opérationnels. Les recherches qui sont développées actuellement ont des objectifs plus précis : rechercher les plantes favorisant les auxiliaires des cultures, mais aussi rechercher des modes de gestion des haies et de bordures de champ pour maximiser le rôle de ces auxiliaires.

Plusieurs voies existent en matière d’évolution des bocages et leurs usages sociaux et productifs. La protection est un outil parmi d’autres mais la réappropriation des usages par l’ensemble de la société sera la condition indispensable à la mise en œuvre de nouvelles dynamiques. La Convention Européenne du paysage reconnaît leurs multiples fonctions, elle peut servir de base à la conception des aménagements/réaménagements. Ceux-ci doivent prendre en compte le fait, rappelé par les archéologues, que certaines limites restent pérennes durant des millénaires et que le paysage garde ainsi son histoire en mémoire tout en s’adaptant.

 

Jacques Baudry
Unité SAD-Paysage, INRA de Rennes
Cet agronome travaille depuis une vingtaine d'années
sur la place des haies dans le monde agricole d'aujourd'hui.
Il est directeur-adjoint du Centre Armoricain de Recherche
en Environnement (CAREN), qui fédère plusieurs laboratoires
de recherches dans les domaines de l'agronomie, de l'écologie et de l'histoire.