La guerre navale révolutionnaire en Bretagne : chronique d’un désastre ?

Auteur : Olivier Aranda / juillet 2020
Les guerres navales de la Révolution et de l’Empire sont peu connues. Surnage seulement le nom de Trafalgar, voire éventuellement celui d’Aboukir. Or ces évènements ont en commun d’avoir eu pour protagoniste la flotte de Toulon. La flotte de l’Océan n’a, elle, pas beaucoup attiré l’attention. Elle a pourtant mené pendant la Révolution française une guerre efficace, d’abord en protégeant le territoire de l’invasion, puis en mettant en œuvre une stratégie indirecte de harcèlement de l’adversaire.

La période de la Convention : la flotte de Brest en première ligne

Dès le printemps 1793, la France se trouve en guerre avec la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Provinces-Unies ; une situation inédite qui laisse la République dépassée numériquement sur mer. Le ministre de la Marine Jean Dalbarade, ancien corsaire, détermine donc vite une stratégie indirecte : la cible n’est pas la flotte ennemie mais son commerce et ses possessions coloniales. Le Comité de salut public trouve néanmoins de nombreux emplois aux vaisseaux de la flotte de Brest. Durant la campagne de 1793, celle-ci se rend à Quiberon, d’où elle prévient toute possibilité de débarquement anglais en Vendée. L’action des Chouans et Vendéens impacte par ailleurs directement les zones de recrutement et de ravitaillement de la flotte. La nouvelle de la chute de Toulon, le 29 août 1793, entraîne la mutinerie des marins, qui demandent à revenir à Brest, pour empêcher éviter un scénario similaire mais aussi pour en finir avec une croisière difficile.

En 1794, le Comité de salut public fait de la flotte de Brest une priorité, en envoyant notamment un de ses membres, Jeanbon Saint-André, comme représentant en mission dans le port. La campagne de l’été est centrée autour de l’arrivée d’un convoi chargé de grains et de produits coloniaux en provenance des États-Unis et de Saint-Domingue. Lors de la bataille de Prairial, le 1er juin 1794, la flotte de Brest affronte la flotte britannique pour le couvrir. Elle perd certes sept vaisseaux mais le convoi parvient à bon port.

Embarquement au port de Brest, estampe de Nicolas Ozanne (sans date). Collection Musée de Bretagne: 2016.0000.7548.La campagne voit aussi le succès des escadres légères voulues par le ministère, avec la capture d’un vaisseau anglais et de nombreux navires marchands. Mais le Comité de salut public a l’ambition de maîtriser la mer, souhait qui s’appuie notamment sur des innovations d’artillerie à obus et fusées incendiaires qu’il espère décisives. Il fait donc ressortir la flotte durant l’hiver 1794-1795, au prix de la perte de plusieurs vaisseaux dans une tempête, mais parvient à renforcer l’escadre de la Méditerranée. À l’été, la flotte de Brest se retrouve sur la trajectoire du débarquement anglais de Quiberon : elle est à nouveau battue, même si elle fait gagner un temps précieux aux préparatifs défensifs de Lazare Hoche.

La stratégie indirecte du Directoire

Mais cet échec est celui de trop pour bon nombre de députés : les appels à l’emploi exclusif de la course et de navires légers se multiplient. De fait cette politique était déjà suivie de fait, mais elle est à présent officielle. Elle est particulièrement poussée dans le cadre antillais. Basée en Guadeloupe, une poussière de petits navires tient en échec des forces anglaises très supérieures, et crée des révoltes serviles dans les îles ennemies en répandant partout la nouvelle de l’abolition de l’esclavage en France.

Avec le changement de camp de l’Espagne, la façade méditerranéenne reçoit la priorité, et les forces de Brest se voient confier la même mission indirecte. Celle-ci connaît de vrais succès, comme le périple de l’escadre de l’amiral Joseph de Richery, qui s’empare en octobre 1795 du convoi anglais du Levant, avant d’aller ravager les importantes pêcheries britanniques de Terre-Neuve à l’été 1796.

La destruction de l'armada française et la fin de l'expédition d'Irlande. Des navires de guerre, appelés Le Révolutionnaire et L’Egalité, sont drossés vers la côte par une tempête symbolisant la résistance irlandaise. Library of Congress:  LC-USZC4-8768.Richery arrive à Brest juste à temps pour participer à l’expédition d’Irlande de l’hiver 1796-1797, qui a pour objectif de débarquer des troupes sur l’île. La flotte n’a pas pour but de combattre mais de convoyer le plus vite possible les soldats à bon port. Mais une tempête la disperse et la mission doit être annulée. Certains navires sont même capturés par les Anglais, comme Les Droits de l’Homme.

Le blocus de Brest (1798-1801)

À la fin du Directoire, la flotte de Brest est quelque peu délaissée, bien qu’elle n’ait jamais été battue à plate couture par l’ennemi, au contraire de celle de Toulon qui est défaite dans le cadre de l’expédition d’Égypte à Aboukir en 1798. Le contraste entre le sort des armes de la République à terre et sur mer ne va qu’en s’accroissant, ce qui crée de fortes tensions.

En 1799, Bonaparte ordonne à Étienne Bruix, nouvel amiral de la flotte de Brest, de secourir les troupes restées en Égypte. Parvenu en Méditerranée, il désorganise le dispositif anglais mais ne pousse pas jusqu’en Égypte ; une sage décision au vu de l’état de ses navires. La flotte regagne Brest augmentée d’une forte escadre espagnole : elle a montré que la maîtrise anglaise des mers n’est pas totale.

Celle-ci s’accroît néanmoins. Tranchant avec les habitudes antérieures, l’amiral Saint Vincent en 1800 resserre très rigoureusement le blocus de Brest. Désormais, même les caboteurs ont du mal à circuler.

La signature de la Paix d'Amiens, huile sur toile de Jules-Claude Ziegler (1853). Wikicommons.La paix d’Amiens sonne en Bretagne comme une « étrange victoire » pour la marine française. Malgré la pression croissante de l’ennemi, elle est parvenue, notamment grâce à cette stratégie indirecte, à le déranger au point d’être un des facteurs qui rend la paix désirable aux Britanniques. Néanmoins, la paix qui avait été envisagée comme une longue période de reconstruction se révèle n’être qu’une trêve, à la différence de toutes les autres guerres du XVIIIe siècle. La marine française s’affaiblit même avec la désastreuse expédition de Saint-Domingue : lorsque le conflit reprend en 1803, elle est aux abois. La bataille de Trafalgar, le 21 octobre 1805, ne vient qu’entériner un déclassement avéré.

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Auteur : Olivier Aranda, « La guerre navale révolutionnaire en Bretagne : chronique d’un désastre ? », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 31/07/2020.

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