La navigation en Bretagne à la fin du Moyen Âge

Auteur : Laurence Moal / février 2020
Aux XIVe et XVe siècles, le duché de Bretagne connaît une forte augmentation du trafic maritime. C’est à la fois un centre important du commerce européen et une étape sur les routes sud-nord entre l’Angleterre, la Flandre, les Pays-Bas, la Normandie, le sud-ouest de la France et les royaumes ibériques. Les marins bretons, véritables rouliers des mers, sillonnent les côtes de l’Europe. De nombreux étrangers viennent aussi en Bretagne par bateau. Comment naviguent les pilotes et maîtres de navire afin de mener leur équipage et leur cargaison à bon port ?

Au début des Grandes découvertes, avant la généralisation de la navigation astronomique, l’art de naviguer se transmet oralement, de génération en génération. Les marins doivent acquérir une connaissance précise des dangers parsemant les eaux proches de leur port d’origine. Pour les secteurs de navigation plus lointains, ils peuvent consulter des recueils d’instructions nautiques appelés routiers, comme Le Grand Routier rédigé par Pierre Garcie, maître de navires de Saint-Gilles-sur-Vie, en 1484, et imprimé en 1520. Il explique comment faire route le long des côtes atlantiques de l’Europe avec une sonde et une boussole pour seuls instruments. L’auteur propose une méthode pour déterminer les phases de la lune. Il explique aussi comment calculer le moment de la pleine ou de la basse mer en fonction de l’âge de la lune, ou déterminer l’heure pendant la nuit. Ce type de navigation est basé sur un sens extraordinaire de l’observation. De nombreux passages concernent la Bretagne.

Une navigation périlleuse

Les côtes bretonnes ont mauvaise réputation au Moyen Âge. Selon la coutume de Bretagne, « le pays de Bretaigne est de si grant dangier, que a peinne par deux ans peut navire mareer sans venir en dangier de la seigneurie dudit duc et comte de Bretaigne ». Les nombreux rochers et les courants violents rendent la navigation difficile. Pierre Garcie recommande d’éviter « le cap d’Ouessant » (le Stiff) car il n’y a ni abri ni repos et « les courants y sont merveilleux, impétueux et grands ».

Abords de la péninsule armoricaine (détail) par Grazioso Benincasa (XVe siècle).Gallica / Bibliothèque nationale de France: GE DD-6269 (RES).Les conditions de navigation dépendent de la direction et de la force du vent, des courants de marée, ainsi que de l’état de la mer. Les navires marchands de la fin du Moyen Âge sont des bateaux de charge très lourds, peu manœuvrants, qui ne remontent pas au vent. Pour aller dans une direction déterminée, il faut donc attendre que le vent soit favorable, changer d’itinéraire ou bien faire demi-tour. La progression peut être difficile et la durée du trajet est aléatoire. Les entrées de port sont souvent délicates. Dans certains cas, il est possible de faire appel à un loman ou lamaneur. Le navire peut aussi être remorqué par une embarcation à rame ou par déhalage à la main. Les naufrages sont nombreux, comme celui que subit un navire anglais à l’entrée du Blavet le 19 décembre 1478. Le risque de tout perdre incite les marchands à se couvrir par l’achat de brefs.

Comment se repérer ?

Les maîtres des navires sont souvent obligés de serrer la côte pour se ravitailler et s’abriter en cas de mauvais temps. Le repérage à vue permet aussi d’évaluer la position du navire par rapport à la terre et de rectifier la route si nécessaire. Cette technique de navigation fait appel à la mémoire des lieux et à l’expérience acquise par une fréquentation régulière. Pour se situer et identifier les passes à emprunter, les marins ont besoin de repères positionnés sur les côtes ou dans l’arrière-pays. Ils utilisent tous les indices que fournit la physionomie de la côte : couleur, contour, profil, relief de l’arrière-pays, végétation, édifices (tours, églises, chapelles, moulins, maisons…). La description peut être très précise lorsqu’il s’agit d’emprunter un chenal, comme celui de la Loire. La méthode de la navigation maritime et fluviale à vue s’effectue en associant des amers pour former des alignements avec au moins deux points remarquables. Ils permettent aussi de localiser un mouillage avec précision, pour avoir la bonne profondeur ou être à l’abri.

La navigation se fait à l’estime en tenant compte de la dérive supposée du navire. La boussole est l’instrument de navigation essentiel pour le repérage dans l’espace. En l’absence de mesures précises des courants, le marin corrige le cap de manière empirique, en fonction des conditions de navigation. Pierre Garcie consacre un chapitre entier à la navigation en droiture à travers le golfe de Gascogne : « s’ensuyt les traversees et routes d’Espaigne, de Poyctou et Bretaigne ». Chacun de ces itinéraires implique de connaître le cap à suivre et la distance à parcourir, par exemple : « Penmarc’h et cap Prieur [cabo Prior près de la Corogne] gisent nord-est et sud-ouest, et prends [un] quart de nord et [un] quart de sud, et y a de l’un à l’autre 103 lieues ». Cela permet au maître d’estimer la durée du voyage en fonction de la vitesse de son navire. Ces trajets se composent d’un temps de navigation côtière au départ et d’un autre à l’arrivée, séparés par un intermède hauturier à l’estime. Les îles et les caps constituent des points de référence qu’il faut savoir reconnaître. Ils donnent au pilote la dernière position exacte avant de perdre la terre de vue. Il faut ensuite identifier rapidement les lieux d’atterrissage dès que la terre se présente. Belle-Île est ainsi l’un des meilleurs points d’atterrissage de la côte atlantique, notamment pour celui qui arrive au sud-est, car cette terre haute et escarpée est visible de loin.

Les marins s’assurent de leur position grâce à la sonde, surtout de nuit. Connaître la profondeur permet d’établir une route. Ainsi, entre le Four et le cap Lizard, le chenal est de 58 brasses. Il n’y a jamais 60 brasses sauf sous Portsall. La sonde renseigne sur la nature des fonds marins, pour mieux se situer. En venant du large, on trouve à Ouessant « à 80 brasses des coquilles comme Saint-Jacques au plomb ». La sonde permet aussi de trouver un lieu sûr pour le mouillage, comme à Locmariaquer dans le golfe du Morbihan, « devant l’église à quatorze brasses ».

Homme sur un bateau avec des animaux (détail d'une miniature). TheBritish Library: Harley 4417 f. 46.Finalement, les instructions de Pierre Garcie sont si détaillées qu’en les suivant les pilotes pouvaient se passer de carte. Son œuvre rappelle le rôle des marins du Ponant dans l’élaboration des connaissances nautiques aux XIVe et XVe siècles. L’art de naviguer s’est ensuite développé avec le calcul astronomique. Mais la plupart des connaissances et des techniques décrites dans Le Grand Routier sont restées celles des marins pratiquant la pêche côtière et le petit cabotage jusqu’au XIXe siècle. C’est seulement à partir de cette période que le développement du balisage et l’utilisation des cartes marines apportent un nouveau système de repérage visuel.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Laurence Moal, « La navigation en Bretagne à la fin du Moyen Âge », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 25/02/2020.

Permalien: http://www.bcd.bzh/becedia/fr/la-navigation-en-bretagne-a-la-fin-du-moyen-age

BIBLIOGRAPHIE

 

Proposé par : Bretagne Culture Diversité