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Le savoir-faire des crêpes : un patrimoine du quotidien

S’il se confectionne de fines galettes à partir d’une pâte liquide partout dans le monde – témoin de l’unité de certaines pratiques culinaires aussi bien que de leur diversité à l’échelle mondiale – la crêpe est un des éléments fortement associés à l’image de la Bretagne. Et même en Bretagne, il y a une grande diversité aussi bien au niveau de l’appellation (à l’est, on parle de galette, quand, à l’ouest, on parle de crêpe) que de la recette...
Le savoir-faire des crêpes : un élément du patrimoine culturel immatériel breton
Lors des réunions publiques organisées en 2016/2017 dans le cadre de l’inventaire participatif, le savoir-faire des crêpes n’a pas manqué d’être cité à plusieurs reprises par les participants qui étaient là pour dire ce qui, pour eux, faisait patrimoine dans leur quotidien. Et il y avait autant de recettes et de préférences que de personnes présentes. Signe que le savoir-faire de la crêpe est bien vivant et ne cesse de se recréer au fil des générations selon les goûts et les envies. Il fait partie de ces patrimoines que l’on vit au quotidien, sans vraiment toujours sans rendre compte.
Une transmission le plus souvent informelle
S’il existe des ateliers, formations ou écoles (citons, à titre d’exemple l’école internationale de crêpiers basée à Saint-Malo), la plupart des personnes rencontrées dans le cadre de l’inventaire ont appris à faire des crêpes dans un cadre privé, souvent familial ou amical. Une transmission informelle par le geste pour certains, ou par une observation répétée pour d’autres. Mais beaucoup apprennent également « sur le tas ». Véronique, une des 350 bénévoles de la Fête de la crêpe à Gourin, a appris avec « celle qui étalait [la pâte] et qui m’a dit “ tu veux essayer ? ” donc j’ai essayé ».
Quelle que soit la manière dont ils ont appris à faire des crêpes, il arrive souvent que les bénévoles rencontrés mettent leur savoir-faire au service de différents événements festifs organisés tout au long de l’année. C’est le cas de Christine qui, chaque année, intervient « à la foire aux puces de Diwan l’été, au pardon à Landeleau, à la foire aux plantes à Brasparts et à la fête aux champignons à Brasparts aussi ». Alain a scolarisé une de ses filles dans une école Diwan qui organise de nombreux événements tout au long de l’année afin de financer les projets et activités des élèves. Le bénévolat parental, il connaît bien. « Ils cherchaient des gens pour faire des crêpes pour les animations. Je me suis lancé mais je savais déjà faire des crêpes parce que j’en faisais à la maison. »

Une économie patrimoniale
Pour mobiliser des crêpières ou crêpiers, les organisateurs n’hésitent pas à faire appel à leurs réseaux et à leurs relations. André est le président du comité de chapelle de son quartier qui organise en septembre un pardon auquel plus de 500 personnes participent. Agnès, sa femme, est responsable du stand des crêpes. Chaque année, l’enjeu est de trouver la vingtaine de bénévoles nécessaires car « de 17h à 23h, ça ne désemplit pas ». « Et pour les crêpes, on a gardé des tarifs très abordables. Ça permet aux familles de venir, on a plein d’enfants dans le village. » En plus, les bénéfices participent souvent en partie à entretenir la chapelle ou le site, à faire des travaux ou des aménagements.
Pour un fest-noz, si généralement les entrées financent le plateau de sonneurs ou chanteurs, la buvette et le stand de crêpes, quand il y en a, permettent généralement aux organisateurs de l’événement de tirer quelques bénéfices pour leur association ou pour l’action qu’ils souhaitent financer. Pour Karen, crêpière bénévole dans plusieurs événements festifs, « c’est important qu’il y ait des crêpes dans les fest-noz parce que […] ça va avec. Pourquoi on organise un fest-noz ? Parce qu’on aime la musique, le chant et la danse. Avec les crêpes, on se nourrit, alors pourquoi ne pas se nourrir de quelque chose de traditionnel ».
Considérés par beaucoup comme un élément indispensable à la convivialité de l’événement, les stands de crêpes participent ainsi d’un certain dynamisme social, culturel et économique. Mais, pour cela, les bénévoles sont indispensables et beaucoup d’organisateurs s’inquiètent. Car, chaque année, l’enjeu est de trouver des personnes qui acceptent de donner de leur temps pour tourner les crêpes. Mais surtout, espérons qu’en 2021, nous retrouverons ces bénévoles engagés dans les différentes fêtes, festoù-noz et pardons qui animent le territoire car une société sans fête, c’est comme une crêpe sans beurre, ça n’a pas de saveur !
Julie Léonard
Responsable des inventaires du PCI
Article paru dans Le Poher
Semaine du 27 janvier au 03 février 2021

3 questions à Catherine Sparta, directrice de l’Écomusée des Monts d’Arrée
Catherine, pouvez-vous présenter l’Écomusée des Monts d’Arrée ?
L’Écomusée des Monts d’Arrée est situé sur le Parc naturel régional d’Armorique et s’organise sur deux sites : le village de Kerouat à Commana et la maison Cornec à Saint-Rivoal. Depuis sa création en 1969, il n’a eu de cesse, en étudiant les relations entre l’homme et son environnement, d’évoluer et de s’adapter au territoire et à ses habitants. On y organise des expositions, des visites et des ateliers ainsi que des médiations auprès des scolaires afin de faire découvrir la vie rurale du territoire, passée et présente, tout en s’interrogeant sur l’avenir.
Comment est né le projet d’une exposition sur la crêpe ?
En 2020, l'écomusée a participé, avec quatre autres musées bretons, à une coopération régionale sur la thématique de la crêpe. L’idée de traiter ce sujet est née à Landévennec suite à l’analyse de tessons de galettières des XIIIe et XIVe siècles retrouvés lors de fouilles archéologiques. À partir des analyses, on a pu dire qu’on faisait cuire des mets tout à fait similaires aux crêpes sur ces galettières. Le sujet évoluant en fonction des territoires bretons (préparation, consommation et même appellation), une coopération régionale a été proposée. C’est ainsi qu’est né le projet Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ? autour de cinq expositions. L'exposition Bleud zo, Krampouez vo* - Paysans, meuniers, crêpières dans les Monts d’Arrée a débuté en juin 2020 sur le site des Moulins de Kerouat, ancien village de meuniers et de paysans.
Quelle suite l’écomusée souhaite donner à cette exposition ?
Comme l’écomusée s’organise sur deux sites, on prolonge la réflexion sur le site de Saint-Rivoal en proposant actuellement aux habitants du territoire de participer et de préparer ensemble une nouvelle collecte sur la thématique de la crêpe aujourd’hui. Les premiers résultats de ces échanges permettent de dire que les savoir-faire de la crêpe s’inscrivent dans le patrimoine culturel immatériel. La restitution finale de ce travail sera présentée dans la prochaine exposition temporaire sur le site de la maison Cornec, à partir de juin 2021.
* Il y a du blé, il y aura des crêpes.