4.3

Caractéristiques du bocage rennais

Dans le bassin de Rennes, les terres les plus fertiles ont attiré très tôt une noblesse désireuse de fonder des domaines prospères, dont certains sont connus depuis le XIIe ou le XIIIe siècle. Ces grandes propriétés témoignent d'une volonté d'organiser l'espace sur le long terme autour de bois et allées arborées, structurant de larges parcelles cultivées.

Photo de couverture : Marc Rapilliard

Il faut attendre le début du XVIe siècle, et la multiplication de petites propriétés bourgeoises autour de Rennes, pour voir apparaître un véritable bocage.

Vue perspective de Rennes depuis le sud. Gravure de Nicolas Tassin datée de 1638. Il faut noter la présence de vignes encore cultivées dans le pays de Rennes durant toute la première moitié du XVIIe siècle. Écomusée du Pays de Rennes

Dans un premier temps, la bourgeoisie rennaise investit surtout dans des secteurs plus ou moins délaissés par la vieille noblesse : les berges de la Vilaine au sud et de l'Ille au nord, et les marges de la forêt de Rennes, sans oublier la ceinture de la ville.

Le nouveau modèle agricole expérimenté dans ces propriétés s’impose dans le courant du XVIIe siècle au reste du pays rennais, et l’utilisation de l’espace s’intensifie sous la pression des roturiers, plus attentifs à la rentabilité de leurs exploitations. Près de la ville, le bocage se structure de façon complexe, à la mesure des convoitises dont il fait l’objet.

Alors que le sud de la Haute-Bretagne compte en « sillons » la surface des parcelles labourables, le pays de Rennes utilise le « jour », soit la surface labourable en une journée (environ un demi-hectare), une nuance qui illustre l’opulence de ses paysans.

Les riches terres à blé du bassin de Rennes, qui constituent la majorité de ses parcelles agricoles, ne sont pourtant pas exploitées en « champs ouverts » comme dans de nombreuses régions céréalières. Des ceintures de haies parfois denses, a priori concurrentes des cultures, forment un paysage spécifique.

Le témoignage des cadastres

Plan de Rennes après l’incendie de 1720, publié en 1782 par Cassini de Thury.

Sur ce détail, la campagne de la ceinture rennaise est figurée précisément : maisons bourgeoises le long de la route de Paris, avec leurs jardins cultivés en planches, à la mode de l’époque, parcelles bordées de haies et complantées de pommiers, prairies dénudées le long des cours d’eau. Écomusée du Pays de Rennes

L’étude des cadastres nous montre que la Révolution n’a pas changé foncièrement l’organisation des campagnes du pays de Rennes. La bourgeoisie continue à investir dans la terre et à trouver chez ses fermiers des produits frais et du bois de chauffage à bon compte. La pratique de la retenue connaît même un regain d’intérêt après 1850, et de nombreuses fermes reconstruites à cette époque pour évoluer avec les pratiques agricoles, sont encore dotées d’un étage habitable réservé au propriétaire ! Les agriculteurs propriétaires de leur exploitation restent rares jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Du point de vue du paysage, il semble que les quelques parcelles non encore cultivées soient soumises au labour coûte que coûte.

 

« Dans les communes de Janzé et Amanlis, les châtaigneraies y sont moins multipliées. Il en existait plusieurs avant la révolution qui ont été depuis détruites sans avoir été replantées. La plupart de ces terres ont été mises en culture dans ces deux communes. On a planté le châtaignier sur les talus et ils y sont multipliés »

Enquête de 1811 sur la culture des châtaigniers.

 

Seules les cerclières, ces taillis serrés de châtaigniers, indispensables au cerclage des fûts de cidre, sont préservées telles des sanctuaires ! L’économie florissante du cidre au XIXe siècle et le développement des vergers expliquent le maintien d’une ressource indispensable à l’entretien des fûts.

Il apparaît aussi, dans les communes offrant deux cadastres successifs (vers 1810 et 1840-50) qu’une partie des prés, pâtures et marais sont mis en culture entre-temps, sans doute après drainage.

Les limites de parcelles

L’examen des cadastres anciens nous renseigne sur l’organisation des fermes juste après la Révolution, et leur évolution durant la première moitié du XIXe siècle.

Les derniers relevés en Ille-et-Vilaine, entre 1840 et 1850, présentent même, sous forme de tirets parallèles aux limites de parcelles, l’emplacement des talus, et du même coup, leur appartenance à telle ou telle propriété.

Pour plus de lisibilité, nous avons rehaussé ces tirets par un ombrage vert, qui évoque l’implantation générale des haies. Il devient alors aisé de voir dans quelle mesure le maillage des haies reflète le parcellaire.

Cadastre de Bains-sur-Oust, levé en 1847 – section G6. Archives d'Ille-et-Vilaine

Sur l’exemple ci-dessus, on voit bien l’emplacement d’un manoir, entouré de larges parcelles bordées de haies, et à l’opposé de la feuille, un gros hameau, avec ses jardins enclos.

Mais l’espace cultivé reste très lanièré, et montre une organisation communautaire de la vie agricole héritée du Moyen Âge. Les haies n’y ont pas leur place et sont rejetées en périphérie.

Ce type d’organisation de paysage reste très présent dans le sud du département, et le nord de la Loire-Atlantique, jusqu’à la fin du XIXe siècle.

L’exemple ci-dessous est en revanche très représentatif du bassin de Rennes, seule la taille des parcelles permet de distinguer l’emplacement du manoir (au centre) des métairies et fermes environnantes.

Cadastre de Pleumeleuc, levé en 1845 – section C2. Archives d'Ille-et-Vilaine

L’habitat y est dispersé, et les terres sont organisées autour des sièges d’exploitation. Les parcelles, plus larges que dans l’exemple précédent, supportent des haies omniprésentes.

On a ici affaire à un véritable bocage.

Les usages locaux

Paysage près de Vitré. Gravure de Raoul David.

Le bocage du pays de Rennes présente à son apogée une organisation rigoureuse. Il s’agit de concilier les intérêts de chacun : fermiers et propriétaires, exploitants voisins, commune…

Les haies sont souvent plus denses en limite de propriété, en bordure du chemin communal ou d’une autre exploitation, là où elles gênent moins...  Des règles édictées par la communauté, permettent de limiter, voire de résoudre les conflits de voisinage. Elles sont réunies au cours du XIXe siècle dans les Usages locaux ayant force de loi.

En toute logique, le fossé se trouve en limite de propriété, à l’extérieur du talus bordant une parcelle. Cette disposition est de toute façon obligatoire, et si le fossé venait à se combler, les usages locaux fixent la largeur entre le talus et la limite de parcelle. Dessin : Thomas Schmutz

La limite de propriété se trouve au pied du talus de bordure du chemin. Par manque d’entretien, de nombreux chemins creux s’étranglent aujourd’hui avec l’éboulement des bordures, mais il faut les imaginer autrefois, taillées presque à l’aplomb des arbres. Dessin : Thomas Schmutz

Les animaux présentent un danger pour les cultures et les plantations, et doivent impérativement être maintenus dans les pâtures et les chemins creux qui y mènent. Les barrières sont primordiales et leur entretien est mentionné dans les baux, « sous peine de dédommagements prévus par la justice » !

Il faut évoquer l’importance des patous*, notamment durant le XIXe siècle, période d’accroissement du cheptel. Ces enfants de familles modestes font souvent l’école buissonnière pour travailler dur… Les haies deviennent leur abri et leur terrain de jeu !

Le patou mène les vaches sur les pâtures et les laisse brouter les bords du chemin. Mais il faut être attentif à ce qu’elles ne dépassent pas les limites de l’espace public, risquant d’occasionner de graves conflits avec les riverains ! Archives d'Ille-et-Vilaine

Vers la fin du XIXe siècle, la mention des plesses dans les baux se fait de plus en plus rare : ces clôtures vivantes semblent tomber en désuétude avec le développement des plantes fourragères, et la diminution des parcours herbagés.

Le cantonnier, fonctionnaire chargé à l’origine de gérer la voirie d’un canton, veille au bon entretien des chemins. Les paysans riverains doivent donner pour cela des journées de « corvée » et notamment des journées de charroi.

Ce document exceptionnel, photographié au début du XXe siècle dans le pays de Vitré, montre l’entretien d’un chemin creux. Sous les ordres du cantonnier, assis au centre de la photo, des paysans s’acquittent de leur journée de corvée. Ils arrachent les souches, taillent le glacis du talus de bordure et nivellent le fond du chemin. Écomusée du Pays de Rennes

En plus des corvées, les paysans doivent aussi veiller tout au long de l’année à ne pas laisser pousser d’arbres dans le chemin, sous peine d’amende. En contrepartie, ils profitent des produits des haies de bordure jusqu’au milieu du chemin…

Les talus sont restaurés régulièrement, à chaque cycle d’exploitation de la haie. Ils sont garnis de « plisses », du gazon prélevé à côté du talus et découpé grossièrement en cubes. Certains n’hésitent pas à les dérober sur les bords de routes, mais gare à l’amende ! Le sommet est ameubli pour un meilleur redémarrage de la haie.

Malgré sa mauvaise qualité, ce document unique montre un chantier de réhabilitation lourde d’un talus. On distingue la « maçonnerie » de mottes de gazon qui tient les côtés du talus. Archives d'Ille-et-Vilaine

Selon les Usages locaux ayant force de loi, les fossés ont un mètre de large sur les terres labourables et cinquante centimètres pour les jardins et les prés. Afin d’éviter des éboulements, on prend soin de laisser une lisière de 16 centimètres du côté du voisin, nommée rivet, semelle, sabotée ou cepare.

Le Code civil (article 671) définit une distance de deux mètres à respecter entre les arbres et la limite de propriété. Mais il précise bien que ces distances s’entendent en l’absence de « règlements administratifs locaux et d’usages constants et reconnus ». De plus, les principes généraux de « préoccupation » et de prescription trentenaire empêchent tout recours sur des haies anciennes. Enfin, le rédacteur des Usages locaux note à la fin du XIXe siècle une grande tolérance entre voisins…

Aujourd’hui, cette question devenue sensible met les haies existantes en position de force, puisque la régénération naturelle s’opère sans avoir à consulter le voisin, contrairement aux replantations, qui rencontrent de fortes résistances lorsqu’elles sont implantées en mitoyenneté.

Les types de haies

La taille et l’emprise de la haie dépendent de nombreux facteurs : largeur de la parcelle, nature des cultures, bordure de la propriété ou d’un chemin communal. Les haies ne jouent pas le même rôle selon leur emplacement autour des parcelles. Homogènes au premier coup d’œil, elles présentent en fait des formes spécifiques et des silhouettes variées.

Dessin : Thomas Schmutz

 

Des haies de production de bois, soigneusement entretenues pour préserver les cultures voisines, entourent les zones cultivées et les terres labourables.

 

Lorsque ces parcelles deviennent trop étroites, des haies constituées exclusivement d’arbres émondés limitent l’ombrage au maximum.

Dessin : Thomas Schmutz

Dessin : Thomas Schmutz

Autour des pâtures, peu nombreuses, mais surtout autour des jardins et vergers, ainsi que des prés de fauche (parcelles que l’on souhaite préserver des bestiaux), apparaissent des haies vives denses, qui font office de clôtures, parfois sous forme de plesses.

À la limite entre différentes zones de cultures, le long des « ceintures de fond de vallée » ou des chemins communaux, subsistent quelques haies libres où le fermier trouvera une plus grande variété d’essences utiles pour des besoins spécifiques.

Dessin : Thomas SCHMUTZ

Les types de parcelles

À l’image des plans terriers que les riches propriétaires faisaient lever à grands frais avant la Révolution, les premiers cadastres napoléoniens, établis autour de 1809, présentent par des aplats de couleurs les différentes natures de culture. Seules trois communes seront traitées ainsi en Ille-et-Vilaine, avant que l’affectation des terres – et donc les valeurs imposables – ne soient définitivement reportées dans des tableaux, permettant ainsi des mises à jour plus aisées des données.

Les maisons ne sont pas représentées en détail : les cours et superficies bâties sont simplement fondues dans un aplat rouge.

Archives d'Ille-et-Vilaine

Cette planche du cadastre de Saint-Armel est particulièrement éloquente et montre la variété des natures de culture :

  • Dans les fonds, le long des cours d’eau, les prés de fauche, distincts des quelques pâtures et marais.
  • Autour des habitations, traditionnellement, à mi-pente, les jardins et les chènevières.
  • Sur les « hauteurs » plus fertiles et moins humides, les terres labourables largement majoritaires dans le bassin de Rennes.

En croisant les données fournies par le cadastre de 1809 présenté ci-dessus, et celles portées sur un second, daté de 1849, où figure l’emplacement des talus, nous pouvons tenter une restitution des linéaires de haies, dans un style inspiré des plans terriers du XVIIIe siècle.

Coll. Véronique Bardel