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Le cadre contractuel du bail

Concilier les intérêts du fermier et du propriétaire n’est pas une mince affaire dans le pays de Rennes. Comme ailleurs, le bailleur a intérêt que le preneur gère l’exploitation en « bon père de famille et ménager ». Mais les nombreuses contraintes imposées ici à l’agriculteur dépassent largement les considérations purement agricoles !

Photo de couverture : Marc Rapilliard

Le grand intérêt porté au mode de conduite de l'exploitation, matérialisé par des baux de plus en plus précis et contraignants pour le fermier au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, laisse imaginer la structuration du bocage. La place occupée par l'entretien des haies, mais aussi par la conduite des jeunes arbres et la production de bois de feu destiné au propriétaire, correspond parfois au tiers du texte d'un bail !

Rabine de la Moinerie - Cesson-sévigné en 2005

Les arbres majestueux qui bordent les accès principaux à une exploitation sont strictement réservés au propriétaire. Ils sont le symbole des contraintes fortes qui pèsent sur les fermiers, contrepartie du privilège d’exploiter une belle ferme. Photo de couverture : Marc Rapilliard

La répartition des différentes qualités de bois entre le fermier et le propriétaire y est particulièrement détaillée, et demeure assez identique au cours des siècles…

Les formes d'arbres dans les baux

Les baux font mention de différents bois : les bois francs, les bois piquants, les bois taillables qui désignent tout ce qui n’est pas le bois d’émonde. Comment reconnaître alors, ce qui appartient au propriétaire et ce qui appartient au fermier ? Un moyen mnémotechnique simple permet de retenir cette répartition :

  • Tous les troncs sont réservés au propriétaire, dès lors que l’arbre dépasse une quinzaine d’année.
  • Toutes les branches en dessous d’une ligne imaginaire qui passe à peu près à 6-8 m de haut sont au fermier, toutes les branches au-dessus restent au propriétaire.

Les troncs et les baliveaux destinés à remplacer les arbres abattus appartiennent au propriétaire. Ils sont figurés en violet sur ce schéma. Le fermier ne doit pas y toucher sous peine de dommages et intérêts. Les arbres de haut jet, conduits pour donner du bois d’œuvre, appartiennent entièrement au propriétaire. Il n’y a pas de branches le long du tronc, car le paysan les a taillées.

Les parties en rose sont réservées au propriétaire, celles en blanc au fermier. Écomusée du Pays de Rennes

1. Buissons d'épines (bois pusnais, bois de terre, bois piquants)

2. Baliveau, Franc

3. Cépée (tallée, souche)

4. Ragosse (bois d'émonde)

5. Haut jet (coupellier, futaies)

6. Tête (coupelle, quartiers, vieilles branches)

Pour les ragosses, le tronc appartient au propriétaire et les branches au fermier. Les cépées (les rejets d’une grosse souche), le bois de terre (les arbustes buissonnant), le taillable (les baliveaux qui ne seront pas conservés) restent au fermier pour différents usages : bois de chauffage mais aussi manches, piquets, objets du quotidien.

Le baliveau, issu de semi naturel, est sélectionné pour devenir un haut-jet, parmi une foule de repousses et de drageons. Paradoxalement, ces arbres, réservés au propriétaire, sont sélectionnés et éduqués par le fermier. L’obtention de hauts jets de qualité implique que le paysan y trouve son compte et qu’il soit motivé pour laisser autour de ses cultures des grands arbres, ce qui laisse entrevoir le rapport de force qui pouvait exister, et dont les baux ne rendent pas compte...

La différence entre une ragosse et un haut-jet tient dans les branches latérales et la tête : la tête est conservée sur le haut-jet pour que le tronc reste nu quand on a coupé les branches, donnant ainsi un fût régulier pour la confection de poutres et de planches. La tête est supprimée sur la ragosse, pour que les branches repoussent mieux après avoir été coupées, et fournissent des fagots homogènes. C’est pourquoi le bail précise souvent que le preneur ne devra pas couper la tête (coupelle) ni des quartiers ou des grosses branches, et transformer ainsi un haut-jet en ragosse, à l’avantage du fermier !

« L’an février 1791 […] auront une coupe de bois franc et piquants qu’ils couperont en due saison et en sève de neuf ans au mois de février ou mars, sans pouvoir en retarder la coupe, en abbatant par pièce, ni coupelles, ni grosses branches, feront les plesses aux haies, cureront les fossés sans vicier les talus, elèveront des baliveaux où il s’en trouvera au moins un sur chaque souche qu’ils conserveront, et rendront à leur sortie les terres bien closes et hayées. » Métairie du grand chemin, paroisse de Mordelles

« Bois franc et piquant » signifie tout ce qui est sur le talus et que l’on coupe au même moment qu’on émonde les chênes en sève de neuf ans.

Situés autour des bâtiments de ferme ou plus à l'écart dans la campagne, destinés à fournir du bois de chauffage ou du bois d'œuvre, tous les arbres font l'objet d'une grande attention de la part du fermier et du propriétaire. Ils sont la cause fréquente de litiges qui font ou défont les réputations ! Photographie : Alain Amet

Photographie : Alain Amet

Aujourd’hui dans le paysage, les ragosses qui ne sont plus entretenues ont une tête, et les hauts jets ont des branches le long du tronc puisqu’il n’y a plus de bourrage*. Il devient assez difficile de reconnaître les anciens hauts jets et les anciennes ragosses. Depuis le milieu du XXe siècle, les arbres de haut jet ont été abattus pour être vendus, et n’ont pas été replantés. Ils ont donc disparu et il n’y a guère plus que des ragosses. Mais cette banalisation ne doit pas faire oublier les distinctions rigoureuses qui existaient autrefois entre les différentes formes d’arbre.

« L’an 5 et 6 juin 1852 […] Ils tiendront constamment les terres closes et hayées, ils entretiendront et cureront les fossés, relèveront les talus qui enclosent les terres. Ils n’auront pendant la durée de leur bail qu’une seule coupe de bois émondable, qu’ils ne feront que lorsque ces bois seront en sève de neuf ans, et en suivant sur chaque pièce de terre l’aménagement par eux adopté jusqu’à ce jour. Ils couperont et tailleront les haies suivant l’usage du pays, mais en conservant et élevant avec soin tous les baliveaux et les jeunes arbres de belle venue, ils remplaceront par de jeunes sujets pris sur les terres de la métairie, les arbres qui seraient abattus sur les haies sans que de jeunes arbres voisins puissent remplir les vides… ». Métairie du temple à Saint-Armel

De fortes pressions dues à la proximité de la ville

Dans les environs de Rennes, le propriétaire habite souvent en ville. Il est intéressant de comparer d’une part les baux en termes de contraintes de répartition entre les propriétaires et les fermiers, et d’autre part les octrois et les marchés en termes de répartition entre les ruraux et les urbains. La fourniture de denrées alimentaires, de bois de chauffage et même de nombreux services - buée, évacuation des ordures, entretien d’un attelage…- sont une constante pour les agriculteurs des environs de Rennes. Les habitudes des urbains par rapport aux ruraux reflètent les habitudes des propriétaires par rapport aux fermiers.

Des baux des XVIIe et XVIIIe siècles montrent que dans l’exploitation agricole, il y a des arbres auxquelles le fermier ne doit pas toucher. On peut imaginer des beaux arbres qui jouent un rôle ostentatoire.

« sans pouvoir toucher ni émonder les quatre chênes proches le logis du lieu du propriétaire ni celui qui est au bas du clos et ni même le chêne qui est à l’entrée de la cour du lieu de la Fauvelais… ». Manoir de la Fauvelais à Guignen

Les baux impliquaient de telles contraintes d'entretien que les formes d'arbres étaient bien définies et tranchées, comme sur cet exemple. Depuis qu'elles sont tombées en désuétude, chaque agriculteur suit son inspiration et on assiste à une banalisation des formes. Écomusée du Pays de Rennes

Le prix du bois de chauffage dépendait de sa taille. Le gros bois avait un diamètre supérieur à 20 cm et le bois de hanoche, un diamètre inférieur à 20 cm. Puis viennent les fagots. Les gens de la ville utilisent surtout du gros bois et consomment assez peu de petits bois. Le gros bois part en ville, les fagots restent à la campagne.

« Les propriétaires se réservent la faculté d’abattre sur la métairie le bois nécessaire pour leur chauffage, sans toutefois pouvoir faire abattre plus de douze stères par année et sans réversibilité d’une année sur l’autre en sorte que la quantité fixée ne pourra être dépassée dans aucune année sous prétexte que la quantité n’aurait pas été fournie l’année précédente. Les preneurs sont tenus d’abattre, casser et débiter pour chauffage la quantité de bois fixée si elle est demandée de la charroyer à Rennes et d’acquitter les droits d’octroi sans indemnités et sans répétition vers les propriétaires ». Métairie de Lambouet à Rennes

Les contraintes paraissent énormes pour le fermier, ce qui laisse imaginer qu’il y avait peut-être une contrepartie, la possibilité pour le fermier d’exploiter aussi certaines de ces ragosses. C’est rarement cité dans les baux (voir le bail du 16 juillet 1849, Ferme de la Tourbe à Saint-Armel) mais souvent par les gens qui ont connu la première moitié du siècle : quand le fermier s’entendait bien avec le propriétaire, on lui laissait chaque année abattre une ragosse pour faire des bûches.

« Les preneurs auront les coupeaux des arbres qui seraient abattus pendant la durée du présent bail pour réparation ou reconstruction des bâtiments de la ferme, à charge de donner le trempage aux ouvriers employés à ces travaux ».

Des hauts jets sont abattus pour faire la charpente du bâtiment. Le propriétaire laisse les branches de ces hauts jets au fermier, à charge pour le fermier de donner la soupe aux ouvriers ! Tout est toujours négocié, tout est toujours très réglementé autour des arbres.

Le tronc de la ragosse n’a pas une grande valeur marchande : entre le chêne et le chêne émondé, il y avait une différence de prix très importante. Pourtant face à la demande, le chêne émondé était utilisé aussi pour la construction : très couramment pour les poutres mais aussi pour les pièces de charpente. On retrouve très souvent dans les maisons anciennes des arbalétriers, des pannes qui présentent des brognes* et des signes d’émondage. Depuis le XVIIe siècle dans les manoirs du bassin de Rennes, quasiment tous les bois de charpente sont des bois d’émonde.

Vente d'arbres appartenant à la commune d'Acigné en 1812. Écomusée du Pays de Rennes