La reconstruction de Rennes après le grand incendie de 1720

Auteur : Gauthier Aubert / novembre 2020
Très vite après l’incendie commence l’une des opérations d’urbanisme les plus remarquables de la France voire de l’Europe des Lumières. Le roi dépêche rapidement sur place un ingénieur militaire, Robelin (1660-1728), qui partage avec les Gabriel père (1667-1742) puis fils (1698-1782) la paternité de l’aventure. Celle-ci intéressa aussi, depuis la Cour, le gouverneur de Bretagne, le comte de Toulouse, et fut suivie sur place par plusieurs intendants, à commencer par Feydeau de Brou, en poste jusqu’en 1728, aidés de leurs subdélégués, parmi lesquels un des plus actifs fut l’avocat Arot. La liste des acteurs serait cependant incomplète sans évoquer le maire Rallier du Baty, porte-parole des habitants, les architectes et ingénieurs locaux (Abeille, Huguet, Le Mousseux, etc.) qui œuvrèrent dans l’ombre des grands hommes, et, plus obscurs, des entrepreneurs, artisans et ouvriers le plus souvent oubliés et dont le nom émerge lors des accidents survenus sur les chantiers. Quelques rares artistes complètent le tableau, parmi lesquels le sculpteur Jacques Verbeckt (1704-1771) et son atelier. Tous ces hommes ont contribué à faire de Rennes une ville des Lumières dont la parenté avec Bordeaux s’impose du fait de l’action commune des Gabriel.

La marque de l’ingénieur

Présent seulement de 1721 à 1724, Robelin a joué un rôle fondamental. On lui doit d’abord un plan du secteur incendié et un recensement des propriétaires sinistrés destiné à leur offrir une part proportionnelle à leur perte dans les immeubles de la ville nouvelle à bâtir. Car c’est bien une ville nouvelle que Robelin envisage de réaliser, avec plan en damier aéré par des places (dont une royale), le tout ordonnancé à partir des monuments épargnés en marge du secteur incendié et en particulier du parlement (chef-d’œuvre de Salomon de Brosse inauguré en 1655). Ce faisant, Robelin appliquait les principes en vigueur en son temps et rejoignait les vœux de la municipalité, que la ville soit moderne et sûre. Mais Robelin avait d’autres ambitions. Il imagina un système urbain cohérent marqué par la canalisation de la Vilaine et la réorganisation de la basse-ville populaire et pourtant non incendiée, selon les mêmes principes que ceux qu’il avait prévus au nord. Il envisageait aussi d’élargir les rues du centre épargnées, quitte à raboter des hôtels particuliers et voulait bâtir partout de hauts immeubles de pierre avec toits à la Mansart. Ces ambitions furent jugées trop élevées par la municipalité qui, relayant les inquiétudes des divers propriétaires, obtint le renvoi de Robelin après qu’il eut bâti un immeuble sur la nouvelle place du Palais.

Le temps des architectes

C’est alors que Jacques Gabriel, architecte du roi, fait son entrée en scène, envoyé par la cour pour poursuivre l’entreprise dans ce contexte tendu. Sachant s’imposer aux architectes locaux pétris d’ambitions, il eut aussi l’habileté de revoir à la baisse les prétentions de Robelin sur la forme des immeubles et abandonna les projets liés à la Vilaine, à la basse-ville plébéienne et aux vieilles rues huppées. Il concentra donc son effort sur le seul secteur incendié, qui, une fois reconstruit, se trouva donc enserré dans de vieux quartiers de bois et seulement accessible par de petites rues insalubres. Son talent s’exerça dans deux endroits emblématiques. Le premier fut la nouvelle place royale devant le parlement, qui reçut dès 1726 la statue de Louis XIV commandée par les États de Bretagne en 1685 à Coysevox (1640-1720). Tout autour, il édifia de beaux immeubles avec mascarons et pilastres, reprenant le principe du palais de justice d’un premier niveau en granite, suivi d’étages en tuffeau, le tout coiffé d’ardoises. Pour mieux souligner l’unité du lieu, Gabriel eut l’audace de retirer l’escalier monumental de la façade du parlement pour le réinstaller dans la cour. Ce parti pris esthétique a pu être lu comme un geste politique visant à rabattre l’orgueil de la magistrature. L’autre lieu clef de l’intervention de Gabriel est la deuxième grande place sur laquelle, après bien des hésitations, il installe sur le flanc occidental un bel édifice destiné à accueillir l’hôtel de ville et le présidial (tribunal inférieur au parlement) reliés par une tour couronnée d’un bulbe inspiré du baroque alpin au pied duquel une niche accueille, à partir de 1754, une statue de Louis XV par Lemoyne (1704-1778). Ainsi la capitale de la frondeuse Bretagne se vit dotée de deux places royales. Mais l’hôtel du gouverneur, prévu pour faire face à l’édifice, ne vit jamais le jour.

Statue de Louis XIV par Antoine Coysevox (1640 - 1720). Musée de Bretagne : 956.0002.242.

Un chantier de plus d’un siècle

Inachevé à la mort de Jacques Gabriel en 1742, le chantier se poursuit sous la férule de son fils Ange-Jacques. Il en ressort un paysage urbain marqué par une certaine uniformité, même si le regard attentif sait reconnaître les nuances reflétant des ambitions et des moyens des bâtisseurs. L’homogénéité de l’ensemble est d’autant plus forte que l’essentiel est constitué d’immeubles de rapport, la riche noblesse parlementaire ayant édifié peu d’hôtels particuliers, préférant en général rester dans ses vieux quartiers autour de Saint-Germain et de la cathédrale, quitte à profiter du contexte pour s’y faire édifier des demeures au goût nouveau. C’est ainsi que sortit de terre, en marge du secteur incendié, le somptueux hôtel de Blossac, qui porte la marque des Gabriel. L’écho de la reconstruction se retrouve aussi dans les campagnes alentour, où la noblesse commanda des travaux sur ses châteaux.

Achevée pour l’essentiel vers 1760, la reconstruction laisse ici ou là des espaces vides, y compris sur les deux belles places de Gabriel. Celles-ci attendent la première moitié du XIXe siècle pour prendre la forme qu’on leur connaît, avec en particulier la construction d’un théâtre dont la forme répond à l’hôtel de ville de Gabriel. À peu près à la même époque, la ville réalise enfin la canalisation de la Vilaine et en profite pour se lancer dans un travail de refonte de la basse-ville inspirée du projet de Robelin, qui s’étale jusqu’aux années 1860.

Projet d'immeuble place du Palais par Isaac Robelin (détail). Musée de Bretagne : 956.0002.753.

Il résulte de cette longue reconstruction une certaine minéralité qui est encore de nos jours la marque du cœur de Rennes, dont la majesté jugée parfois un peu froide renvoie tant aux principes architecturaux des Lumières qu’à la volonté d’affirmer par la pierre un rang de capitale provinciale.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Gauthier Aubert, « La reconstruction de Rennes après le grand incendie de 1720 », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 12/11/2020.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/la-reconstruction-de-rennes-apres-le-grand-incendie-de-1720

BIBLIOGRAPHIE :

  • Aubert Gauthier, Provost Georges (dir.), Rennes, 1720. L’incendie, Rennes, PUR, 2020 (avec en particulier deux contributions de David Garrioch sur l’incendie proprement dit).
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  • Richer Antoine, Le Grand Incendie. L’incendie de Rennes de 1720, mémoire de master 1 sous la direction de Aubert Gauthier, Université Rennes 2, 2018.

SITOGRAPHIE :

Proposé par : Bretagne Culture Diversité