Le breton, une langue celtique

Auteur : Francis Favereau / août 2022
Quels sont les liens entre le gaulois et le breton et pourquoi qualifie-t-on ces langues de « celtiques » ? Les débats sur le rapport du breton au celtique ancien du continent ont pris naissance au XVIIIe siècle et se sont prolongés tout au long du XXe siècle.

Le rapport du breton au celtique ancien du continent n’est pas une mince histoire. Longtemps choix cornélien entre deux ancêtres, l’alternative était, pour simplifier, gallois vs gaulois, considérant que le gallois et le gaulois étaient peu ou prou une seule et même langue. Aux Bretons et au breton, ainsi qu’à maintes langues (gallois, basque), on prêta une origine biblique (Adam, Ève / a-dam, ev ! – bois !), troyenne après Geoffroy de Monmouth ou gréco-romaine (via Brutus), théories reprises par les historiens de la fin du Duché. S’y ajouta la légende d’Arthur, dont l’origine remonterait au Ve siècle, popularisée à partir du XIIIe siècle par la « matière de Bretagne » , un ensemble de légendes et de chansons, diffusées à l’origine par des jongleurs gallois et armoricains, qui alimentèrent entre 1150 et 1250 environ les romans appelés romans bretons. C’est l’érudit gallois Edward Lhuyd qui, en 1707, après le Breton Paul-Yves Pezron, utilisa le qualificatif « Celtic », soulignant l’identité entre breton et gallois ou cornique, ainsi que la parenté du gaélique. Mais il faut attendre les philologues du XIXe pour que le vieil irlandais soit en exergue à côté du latin, du grec, du sanskrit, dans la reconstruction d’un hypothétique indo-européen.

Quelle parenté entre gaulois et breton insulaire ?

La différence entre le gaulois (celtique continental) et le breton insulaire est d’abord chronologique. Le gaulois (anciennement gallique), langue des peuples de Gaule, se parla durant plusieurs siècles après la conquête de César, quelques siècles même après la chute de l’Empire d’Occident (476). Langue d’un vaste territoire, de Vercingétorix comme des Armoricains , le gaulois a été décrit par Tacite, après César, comme « similaire » au breton de l’île : « similes sunt ».

Dès le XVIe siècle, les Celtomanes, qui s’affirment au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne, chez Ossian, puis en Bretagne (Académie Celtique en 1804), considèrent le breton comme une continuité du celtique sur le continent, comme l’est le brittonique sur l’île de Bretagne. En 1847, dans l’Essai sur l’histoire de la langue bretonne d’Hersart de la Villemarqué, on lit en effet : « La plupart des dénominations [...] dont se servaient les premiers habitants des Gaules et de l’île de Bretagne sont encore en usage parmi leurs descendants d’Irlande, d’Écosse, de Galles et d’Armorique. » L’auteur cite avec raison moult termes – plusieurs dizaines – sous leur forme en breton : marc’h, tarv, garan & dero, gwern, pempedul (et les chiffres)… Citant divers toponymes antiques (Carentomagum, Vernodubrum), il affirme : « Ces mots et tous ceux qui ont les mêmes racines se décomposent et s’expliquent naturellement et sans effort à l’aide des dialectes celtiques vivants. »

On ne saurait mieux dire. C’est ce que fit Georges Dottin, dans son ouvrage La Langue gauloise, en 1918, analysant moins de termes mais abordant la syntaxe : l’homme-là ou -ci, en gallo notamment, trace de gaulois en français, est parallèle au breton an den-se / an den-man (gallois y dyn hwn, hyn). Ce qu’ont continué les celtisants Léon Fleuriot, puis Pierre-Yves Lambert, enfin Xavier Delamarre dans son Dictionnaire de la langue gauloise (2003) ; il y répertorie près d’un millier d’entrées : avec les composés (anthroponymes, toponymes), on atteint plusieurs milliers d’items « gaulois ».

Le breton, une langue « importée » ?

Mais à la fin du XIXe, sur les pas de l’historien national Arthur de La Borderie, le grand « celtisant » Joseph Loth développe l’idée que le breton était la langue importée de ces émigrés débarqués entre les Ve et VIIe siècles, dans une Armorique totalement romanisée. Dans son ouvrage Les mots latins dans les langues brittoniques, le latiniste de l’université de Rennes, marié à une Galloise, traducteur des Mabinogion, est explicite : « Je renonce avec regret au terme de breton pour le gallois, le breton armoricain et le cornique... Je me suis rabattu sur brittonique qui me semble justifiable par la linguistique et l’histoire. J’entends par vieux-brittonique la période correspondant au vieux-celtique pour les peuples bretons... Quant au nom ethnique, pour la période insulaire, je ne pouvais songer à un autre terme français que celui de Breton. » C’est cette césure entre gaulois et apport brittonique que conteste le chanoine Falc’hun à partir de 1951, voyant dans son breton la continuation du gaulois, au grand dam de nationalistes bretons qui, en l’occurrence, préféraient le très républicain Loth (professeur au Collège de France) au romantique Kervarker (La Villemarqué).Léon Fleuriot tenta la synthèse dans ses Origines de la Bretagne (1980), notant la « symbiose » entre le substrat celtique continental (dont la connaissance s’est grandement développée depuis lors) et l’apport insulaire brittonique de migrations s’étalant possiblement du IIIe au VIIIe siècle.

Un double héritage

À la réflexion, la dichotomie évoquée chez Fleuriot – brug, issu du gaulois brucaria, donne bruyère, à côté du gallois grug, gwrug d’un antique *wroika insulaire, devenu en gaélique fraoch – exemple parmi tant d’autres qui nous sont apparus plus récemment.

Le breton armoricain s’offre ainsi maints doublets, illustrant son double héritage : (a-)us (au) dessus, comme le gaulois Ussel / Uzel & Luzel / uhel (haut), Huelgoat, Keruhel & uc’h, a-uc’h comme en gallois uwch, Lannuwchlyn ; Ouessant (Ushant), Eussa, conserve le S continental comme l’irlandais (uasal), à côté du brittonique évolué en /h/ (breton uhel / uchel gallois, ughel cornique).

De même trouve-t-on deux variantes du celtique continental arganto- (Argentdouble, Argentan, Argentré, noms de lieu comme la rivière Argence) : arc’hant / argant (forme vannetaise et du sud Cornouaille), à côté du gallois arian (mais airgead en irlandais).

La Legio V Alaudae de César (alauda, aloue, alouette) rappelle bien alc’hweder / ec’hwedez (variante en Trégor et ailleurs, nom de famille L’hévéder & gallois ehedydd, uchedydd).

On a aussi deux formes pour claie (du gaulois cleta) : kled en Poher (Parc ar glét comme l’adjectif au sens d’abrité du vent) / kloued (barrière), en gallois clwyd, Clwyd, (Baile Átha) Cliath (Dublin).

Le vannetais mar (a ueh) continue le gaulois maros (Maroué en 22) à côté du vieux brittonique mor devenu en breton actuel meur (Coëtmeur & Bois Meur, Kermeur, Le Meur, Ty-meur) / mawr gallois (mais pluriel morion / Meurien des Le Meur, comme en irlandais, cf. Inishmore...).

Un autre exemple m’a été suggéré récemment par un érudit de Suisse alémanique. Si le patronyme Brieg (Brieuc, Saint-Brieuc) s’explique aisément par la racine panceltique bri (éminence tous sens), d’où les noms de famille Briand, les Brigantes, Briançon etc. (comme Brian Boru en irlandais), le suffixe -eg /-ec, typique de tant de noms de famille (Lagadec, Pennec, Troadec), issu d’un -oc (en vieux-breton comme en Galles - Porthmadog &/ Madeuc en Haute-Bretagne ; en gaélique -ach) est le pendant brittonique d’un celtique ancien -acos (latinisé en -acus), productif dans la zone occitane (Agonac, Bellac, Gaillac) comme en zone mixte de Haute-Bretagne (Éréac, Missillac, Sévignac, Talensac), voire en Basse-Bretagne (Callac, Lauzach, Mellac, Milizac, Molac, Moréac, Scrignac), datant de l’armoricain. Briac (Bourbriac Boulvriag & le « mini Briac ») serait, non point un saint irlandais non attesté, mais l’allomorphe continental de l’insulaire Brioc & Brieg Briec (Brieuc) !

Ainsi breton et gaulois semblent bien représenter un certain continuum celtique sur le continent, d’autant que les langues sœurs cornique et galloise sont issues d’un brittonique insulaire qui ne différait guère du celtique continental. On pourrait comparer cette filiation à celle qui existe entre latin et langues romanes proches (italien, espagnol, portugais, voire catalan et occitan) car les mêmes millénaires les séparent parallèlement.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Francis Favereau, « Le breton, une langue celtique », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 29/08/2022.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/le-breton-une-langue-celtique

BIBLIOGRAPHIE

FAVEREAU Francis, BABEL & BARAGOUIN : Le breton dans la mondialisation, Skol Vreizh 2006.

FAVEREAU Francis, CELTICISMES : Les Gaulois et nous, Skol Vreizh, juin 2017

FAVEREAU Francis, Geriadurig ar brezhoneg a-vremañ - Dictionnaire du breton contemporain, Morlaix Skol Vreizh 2005, 2010 & 2015...

FAVEREAU Francis, Yezhadur ar brezhoneg a-vremañ - Grammaire du breton contemporain, éd. Skol-Vreizh, 1997 & (rééd.) 2018.

FAVEREAU Francis, Anthologie de la littérature de la langue bretonne au XXe siècle – tome 1, 2, 3 et 4, éd. Skol-Vreizh (2002, 2003, 2008 & 2016)

Proposé par : Bretagne Culture Diversité