Les premiers partis gaullistes en Bretagne : RPF et républicains sociaux (1947-1958)

Auteur : Christian Bougeard / mai 2023
En avril 1947, le général de Gaulle revient dans l’arène politique pour combattre les institutions de la IVe République : au gaullisme de guerre succède alors un gaullisme politique. Plusieurs partis se réclamant du gaullisme vont se succéder jusqu’à nos jours. En Bretagne, où les réseaux de la France libre et de la résistance intérieure sont actifs, ces partis vont avoir une influence politique certaine en recrutant toutefois essentiellement dans les milieux de droite.

Au printemps 1947, le général de Gaulle crée le Rassemblement du peuple français (RPF), dont il prend la tête. Il s’agit d’une formation ouverte à tous, qui a la particularité d’autoriser la double appartenance : l’adhésion à un parti politique, sauf au Parti communiste français (PCF), en même temps qu’au RPF, mouvement qui ambitionne de rassembler tous les Français. De son côté, le Mouvement républicain populaire (MRP), parti démocrate-chrétien et principale formation de centre-droit, interdit cette double appartenance, mais il ne parvient pas à retenir de nombreux adhérents et élus de droite (maires, conseillers municipaux, conseillers généraux), élus sous son étiquette en 1945 et 1946.

Affiche de la section départementale du RPF (Rassemblement du Peuple Français) à Rennes vers 1947. Le texte et la photo du Général De Gaulle sont encadrés par les couleurs de la France. Une croix de Lorraine est placée entre les deux colonnes du texte qui, reprenant des expressions de l'appel du 18 juin 1940, invite les Français(es) à "former" le R. P. F., ce qui indiquerait que l'affiche ait été émise au début du mouvement. Source : Collections du Musée de Bretagne. Numéro d'inventaire : 997.0018.61

Les premières victoires électorales

En octobre 1947, contre la Troisième Force en formation (alliance gouvernementale des socialistes SFIO, du MRP, des radicaux et des indépendants de droite), le RPF fait une percée aux élections municipales (38 % des voix), en captant une grande partie de l’électorat de droite et du centre. Il enlève 52 villes en France et plusieurs grandes villes bretonnes, dont Nantes, Rennes, Brest, Quimper, Vannes, mais aussi Quimperlé, Morlaix, Vitré, Redon, Dinan, Loudéac. Soutenant d’anciens résistants et puisant dans le vivier d’indépendants de droite, de MRP sortants et de quelques radicaux, le RPF revendique 75 maires dans le Morbihan, 60 dans le Finistère mais seulement 14 dans les Côtes-du-Nord. En 1948, une douzaine de sénateurs sur 17 en Bretagne se font élire au Conseil de la République avec cette étiquette très porteuse. Aux élections cantonales, face aux gauches divisées par la guerre froide et en recul, on passe, en 1949, de 35 conseillers généraux RPF sur 218, à 51 en 1951.

Un engouement éphémère

Cette percée électorale du RPF s’appuie sur un très fort mouvement d’adhésions de citoyens. Ils rejoignent cette nouvelle force politique au sein des fédérations départementales du Rassemblement qui se mettent en place à partir du printemps 1947. Cet essor est conforté par des visites régulières du général de Gaulle dans la région, dès le 27 juin 1947 à Rennes, où il dénonce « le péril communiste » qualifié de « séparatiste », et à Quimper le 12 juin 1949. Le chef de la France libre active le souvenir de la Résistance : pose de la première pierre du monument du maquis de Saint-Marcel en juin 1947, et inauguration de celui de Camaret dédié aux Forces Françaises Libres (FFL) le 15 juillet 1951.

Affiche de la cérémonie du 27 juillet 1947 commémorant le maquis de Saint-Marcel devant le monument commémoratif en présence du général De Gaulle. Source : Wikimedia Commons

Mais cet engouement va s’avérer éphémère. Selon les Renseignements généraux, en 1948 il y aurait 18 000 adhérents dans le Finistère (3fédération de France), 12 000 dans le Morbihan et 6 500 dans les Côtes-du-Nord. Deux des huit plus grandes fédérations du RPF se situent donc en Bretagne. Mais deux fichiers internes permettent de préciser le nombre réel d’adhérents : les chiffres traduisent un tassement dès 1949, et un fort coup d’arrêt en 1950. Le RPF compte 34 244 adhérents en Bretagne en 1949 mais ils ne sont plus que 7 463 en 1950.

De fait, l’intransigeance du général de Gaulle, qui refuse les alliances électorales avec les droites qui participent aux gouvernements, y compris avec le MRP, décourage de nombreux élus modérés qui se sont abrités sous l’étiquette du RPF. En 1950, une grave crise interne secoue la fédération RPF du Morbihan sur cette question.

Des élections législatives en demi-teinte

En effet, les résultats des élections législatives de juin 1951 ont été décevants pour le parti gaulliste (121 députés en France). Pour barrer la route aux communistes et aux gaullistes, la majorité de Troisième Force a modifié le scrutin de liste à la proportionnelle par la loi sur les apparentements. Or De Gaulle, en interdisant tout apparentement, a réduit les gains en sièges attendus. En Bretagne, première force politique en 1951, les listes du RPF réunissent 25,94 % des suffrages exprimés devant le MRP (24,9 %) mais elles n’obtiennent que huit députés sur 39 alors que les démocrates-chrétiens en ont onze. Au final, le RPF a trois députés sur dix dans le Finistère (27,8 % des voix), deux en Ille-et-Vilaine avec 23,4 %. En Loire-Inférieure, la liste d’Entente des droites (PRL-RPF) a quatre députés (37,1 % des voix) mais deux seulement siègent au groupe RPF. Dans le Morbihan, Victor Golvan (20,9 % des voix) est élu contre la liste des droites de Raymond Marcellin. Mais dans les Côtes-du-Nord, malgré le parachutage de Louis Terrenoire, un dirigeant national du RPF, la liste Pleven alliée aux radicaux et à la droite a bloqué les gaullistes (16,9 % des voix mais aucun député) et le PCF a perdu ses deux sièges malgré 26,6 % des suffrages.

Premières scissions

Le 6 mars 1952, l’accession d’Antoine Pinay, le leader du nouveau Centre national des indépendants et paysans (CNIP) à la présidence du Conseil, provoque une première dissidence. Contre l’ordre du général de Gaulle, 27 députés du RPF ont voté l’investiture d’Antoine Pinay dont trois Bretons. Le fossé s’élargit quand la direction du RPF veut les exclure : 41 députés menacent de quitter le parti en mai et 26 rompent avec lui en juillet 1952, dont Joseph Halléguen. Ils fondent un nouveau groupe parlementaire, les Indépendants d’action républicaine et sociale (IARS), auquel adhèrent quatre des huit députés RPF de Bretagne. En 1953, il ne reste que deux députés au RPF (De Bénouville et Golvan). Dès lors, l’activité militante devient très faible et les effectifs fondent. En 1954, il ne reste que 1 216 adhérents au RPF en Bretagne (fichier interne). Car, voyant la dynamique électorale enrayée, dès 1952, bon nombre des élus indépendants de droite ont pris leurs distances avec le RPF. Aux élections municipales de 1953, ils se font réélire sur des listes de droite classique intitulées Républicains nationaux : dans le Morbihan, le nombre de maires RPF passe de 75 à 22. Dans le Finistère, le RPF perd 60 % des voix de 1947 et la moitié de ses maires n’en gardant que 29, surtout dans le Léon.

En 1953, le général de Gaulle rend leur liberté à ses élus RPF et certains participent au pouvoir, y compris en 1954-1955 en entrant dans le gouvernement de Pierre Mendès France (radical-socialiste), en dépit de leurs désaccords sur la Communauté européenne de défense (CED), sur l’Europe (la Communauté économique du charbon et de l’acier, CECA) ou sur le retrait de la France en Indochine. Des rescapés du mouvement gaulliste se regroupent dans les républicains sociaux. Lors des législatives de 1956, l’aile gauche rejoint le Front républicain (gauche non communiste) mais les listes des républicains sociaux ne font recette ni en France (3,7 % des voix) ni en Bretagne (4,17 %), si bien qu’ils n’ont plus aucun député dans la région, leur électorat de droite étant récupéré par le CNIP (17 %) et par le poujadisme (extrême droite, 15,7 %). De Gaulle s’est quant à lui retiré à Colombey-les-Deux-Églises pour y écrire ses Mémoires de guerre.

1958, un nouvel élan

Le gaullisme politique semble rayé de la carte. Mais l’intensification de la guerre d’Algérie et la crise déclenchée à Alger le 13 mai 1958 contre la légitimité de la IVRépublique vont donner une seconde chance à ce courant politique en sommeil. Dans la crise politique et militaire, les réseaux gaullistes, ceux de la France libre et du RPF, sont réactivés : ils se mobilisent pour réclamer le retour au pouvoir du général de Gaulle à la fin mai 1958. Dans le Morbihan, un Comité républicain pour le recours au général de Gaulle de dix membres, dont cinq ex-RPF, est fondé. Dans le Finistère, Charles Le Goasguen, un ancien de la 2DB Compagnon de la Libération, lance l’Association pour le soutien à l’action du général de Gaulle au début juin. Il sera député gaulliste UNR (Union pour la nouvelle république) de Brest de 1962 à 1967. Aux élections législatives de novembre 1958, en Bretagne, de nombreux candidats de droite se présentent sous l’étiquette « gaulliste », UNR ou non, et quelques-uns sous celle du Centre Réforme républicaine (gaulliste de gauche), à Brest, Quimper et Loudéac. Dans la Ve République naissante, une nouvelle phase commence pour le gaullisme politique.

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Auteur : Christian Bougeard, « Les premiers partis gaullistes en Bretagne : RPF et républicains sociaux (1947-1958) », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 16/05/2023.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/les-premiers-partis-gaullistes-en-bretagne-rpf-et-republicains-sociaux-1947-1958

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Bougeard Christian, L’évolution des forces politiques en Bretagne. Comment la région est passée de la droite à la gauche (1946-2004), Rennes, PUR, 2022.
  • Cressard Jacques, Sociologie des compagnons du RPF en Bretagne. Étude du fichier des adhérents de 1954, DEA, Rennes, université Rennes 2, 1995.
  • Hostiou Franck, Le RPF dans le Finistère, maîtrise d’histoire, Brest, CRBC, UBO, 1997.
  • Lachaise Bernard (dir.), De Gaulle et le RPF (1947-1955), Paris-Bordeaux, Fondation Charles-de-Gaulle, université de Bordeaux 3, Armand Colin, 1998. Voir Christian Bougeard, « Le RPF dans l’Ouest breton (Finistère, Côtes-du-Nord) », pp. 225-237, et Jacqueline Sainclivier, « Les élus RPF en Bretagne : des hommes neufs ? », pp. 352-363.
  • Rivière Christophe, « Les mouvements gaullistes dans le Morbihan, 1946-1958 », Mémoires de la Société polymathique du Morbihan, t. CXXXI, 2005, pp. 251-304.

 

 

 

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