Le Bleun Brug

Auteur : Yvon Tranvouez / décembre 2025
Le Bleun Brug (Fleur de bruyère) est un mouvement catholique qui s'est donné pour objectif de défendre la langue et la culture bretonnes durant le XXe siècle.

Le Bleun-Brug est né dans le contexte de la résistance catholique à la politique anticléricale de la IIIe République. Cette politique visant les congrégations (1901-1904), interdisant « l’usage abusif du breton » dans la prédication et le catéchisme (1902), aboutit à la Séparation des Églises et de l’État en 1905. Bleun-Brug (Fleur de Bruyère) est d’abord le nom donné, sur le moment, par l’abbé Jean-Marie Perrot (1877-1943), à la « séance récréative et littéraire » qu’il organise pour faire jouer les jeunes acteurs de son théâtre de patronage, en septembre 1905 au château de Kerjean, dans la paroisse de Saint-Vougay (29).

Portrait-photo de Jean-Marie Perrot. Carte postale. Une formule en breton "Kenavo ha bennoz Doue deoc'h holl" (Au revoir et merci à tous) est indiquée en bras à droite. Source : collections du Musée de Bretagne.

Jean-Marie Perrot, prêtre du diocèse de Quimper, y est alors vicaire. Au vu du succès, il décide de réitérer les années suivantes. Certains confrères, qui craignent les débordements liés au côté festif de cette manifestation, ne tardent pas à faire part de leurs critiques et tentent, en 1911, de convaincre Mgr Duparc d’y mettre un terme. Toutefois, l’initiative, soutenue notamment par le comte Albert de Mun, député du Finistère, se pérennise. Le Bleun-Brug se constitue en 1912 en association loi de 1901 présidée par un laïc, ce qui lui assure une indépendance d’un point de vue juridique. L’abbé Perrot, par ailleurs directeur de l’hebdomadaire Feiz ha Breiz, n’en demeurera pas moins, jusqu’à sa mort, la figure tutélaire et donc aussi le responsable moral, qui devra agir sous le regard sourcilleux de son évêque. Les réunions annuelles deviennent des « congrès », qui associent étude et divertissement, l’objectif étant de promouvoir la langue et la culture bretonnes.

Le Bleun-Brug suscite la polémique

La guerre interrompt l’activité, qui reprend en 1920. Jusque-là, il s’agissait surtout d’une affaire léonarde. À partir de 1924, elle s’étend vers la Cornouaille, le Trégor et le Vannetais, non sans susciter des conflits linguistiques récurrents, portant à la fois sur le vocabulaire et l’orthographe du breton. L’essor du mouvement autonomiste autour de Breiz Atao amène le Bleun-Brug à préciser, par la voix de son secrétaire général, le Trégorrois Yves Le Moal, sa conception résolument catholique de la nation bretonne.

Place de Locronan. 1929. L’abbé Jean-Marie Perrot (en soutane, à droite de la photo) pose avec plusieurs personnalités du mouvement breton, dont François Debauvais et René-Yves Creston. Source : collections du Musée de Bretagne.

 

Cela ne l’empêche pas d’être sèchement averti en 1927, par Mgr Duparc, d’avoir à se cantonner aux domaines culturel et religieux, alors que son nouveau secrétaire général, l’abbé François-Marie Madec, voulait lui donner une dimension politique à travers un journal, La Patrie bretonne, s’ajoutant à Feiz ha Breiz. Madec parti, en 1928, le Bleun-Brug recadré n’en reste pas moins suspect et surveillé de près par le vicaire général Joncour. En ouvrant sa table de presse à Breiz Atao et Ar Falz à Roscoff, en 1936, ou en arborant le Gwenn ha Du à Plougastel l’année suivante, le Bleun-Brug suscite des polémiques qui obligent son fondateur à se justifier, d’autant plus que lui-même témoigne à décharge, en 1938, au procès des barbouilleurs. Les congrès attirent du monde, mais leurs succès ponctuels ne peuvent masquer une tendance de fond, la francisation du catholicisme breton. Le tirage de Feiz ha Breiz passe de 10 000, en 1924, à 1 500 en 1939. Organisant un congrès à Tréguier en 1942, pour célébrer le cinquième centenaire de la mort du duc Jean V, l’abbé Perrot suscite des incompréhensions, compte tenu de la conjoncture et de la présence, parmi les officiels, de deux généraux allemands. Des voix amies le dissuadent d’en tenir un autre l’année suivante, ce qui ne lui évite pas d’être abattu, en décembre 1943, par la Résistance communiste.

De nouvelles initiatives après-guerre

Au lendemain de la Libération, le Bleun-Brug partage un temps le discrédit qui frappe l’ensemble du mouvement breton, compromis par les excès de sa frange collaborationniste en 1944. Il renaît pourtant en 1948, sur une ligne résolument apolitique, sous la houlette, dynamique et vigilante à la fois, du chanoine Favé, nommé aumônier général – une nouvelle fonction – pour remplacer le défunt et incontrôlable fondateur.

Le « Bleun-Brug des saints », en août 1950, à Saint-Pol-de-Léon, avec les reliques des saints fondateurs de la Bretagne, est un triomphe. C’est aussi l’occasion pour Dom Colliot, abbé du monastère de Kerbeneat dans la paroisse de La Roche-Maurice, d’annoncer que les bénédictins ont décidé de racheter le domaine de Landévennec et d’y installer leur monastère.

Affiche du Bleun Brug créé par Villard D. (affichiste) en 1950. Source : Collections du musée de Bretagne.

Dans les années qui suivent, les congrès tendent à devenir des spectacles, où le talent de metteur en scène de Bernard de Parades fait merveille. Une dissociation s’opère alors : les dimensions pieuse et studieuse du Bleun-Brug tendent à se déplacer vers des retraites fermées ou des journées de formation. Le secrétaire général, l’hyperactif Visant Séité, frère des Écoles chrétiennes, organisateur de cours de breton par correspondance depuis 1945 (Ar Skol dre Lizer), imagine des stages annuels de culture bretonne, destinés particulièrement aux enseignants. Ils se développent à partir de 1956, alors que les grands congrès disparaissent, après les derniers feux du cinquantenaire qui avait rassemblé à Landivisiau, l’année précédente, quelque 60 000 personnes : le modèle a trouvé ses limites financières, et l’on se replie sur des fêtes plus modestes, à l’échelon des différents « pays » de la Bretagne bretonnante.

Un lent déclin

La crise qui affecte le Bleun-Brug à partir de 1955 tient à plusieurs facteurs dont l’effet se conjugue. La modernisation rapide de la Bretagne s’accompagne de l’abandon des traditions régionales, tandis que les premiers signes du détachement religieux apparaissent. Dans l’Église, le jeune clergé privilégie les mouvements de jeunesse de l’Action catholique spécialisée par milieux (JAC, JOC, JEC, et leurs doublons féminins) qui pensent en termes de classes sociales, suivent des consignes nationales, parlent français – la langue du progrès et de la promotion sociale – et se désintéressent du breton. Au sein même du Bleun-Brug, le remplacement du chanoine Favé, en 1956, s’avère difficile. Après un bref intérim de l’inoffensif abbé Yves Le Bihan, la fonction est confiée au chanoine François Falc’hun, professeur de celtique à la Faculté des Lettres de Rennes. Cet intellectuel brillant lance opportunément des Cahiers trimestriels destinés à promouvoir la réflexion, mais il manque de charisme et irrite par son usage inflexible à l’orthographe universitaire qu’il a promue et qui éloigne les éléments nationalistes, notamment du Trégor, attachés à l’orthographe unifiée de Roparz Hemon. Falc’hun est remplacé en 1959 par le chanoine Mévellec, qui s’évertue à maintenir le cap alors que le monde change.

Ce sont précisément l’illusion et l’impasse de cet attachement au passé qui nourrissent la contestation exprimée par les jeunes du Bleun-Brug, qui refusent l’aspect folklorique auquel celui-ci tend à se réduire. Ils s’organisent donc, dès 1959, autour de Gérard Pigeon, un jeune militant. Avec un slogan simple mais efficace – « tradition et progrès » – ils donnent bientôt le ton des Universités bretonnes d’été qui, à partir de 1962, remplacent les stages de culture bretonne. Ils relancent, en 1971, les Cahiers du Bleun-Brug, devenus en 1974 Bretagne aujourd’hui, qui expriment leur ancrage urbain et leur politisation à gauche. Leur influence s’accroît au point qu’ils prennent, en 1975, le contrôle du mouvement, mais c’est précisément à un moment où nombre d’entre eux n’éprouvent plus le besoin de cet habillage religieux de leur engagement politique. Bretagne aujourd’hui disparaît en 1977 et le mouvement se délite – même si l’association demeure, présidée à partir de 1980 par Charles Le Dréau. Les fêtes qui, avaient pris depuis 1968 une orientation franchement moderne et politique, déclinent et cessent à leur tour : la dernière se tient à Plougastel-Daoulas en 1979. Organisés depuis 1975 en association concurrente, « les amis du Bleun-Brug », les minoritaires de 1975 végètent jusqu’en 1984 autour de leur vieille revue, tenue à bout de bras par le chanoine Mévellec. Signe des temps : les héritiers affrontés de l’abbé Perrot coulent quasiment en même temps, emportés les uns et les autres par la sécularisation de la société.

 

 

CITER CET ARTICLE

Auteur : Yvon Tranvouez, « Le Bleun Brug », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 11/12/2025.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/le-bleun-brug

Marc Simon, Bleun-Brug : expression d’un idéal breton. Pages d’histoire, Landévennec, Musée de l’ancienne abbaye, 1998.

 

Proposé par : Bretagne Culture Diversité