Existe-t-il un « âge d'or capétien » en Bretagne ?

Auteur : Vincent Launay / octobre 2019
Le long XIIIe siècle, qui s'étend de l'avènement de Philippe Auguste en 1180 à la mort de Louis X en 1328, est souvent compris comme celui d'un « âge d'or capétien » qui s'exprime, entre autres, sur le plan institutionnel. Bien que située en périphérie du royaume de France, la principauté bretonne devient rapidement l'objet de l'attention des rois de France et de leur administration naissante.

Au sein du royaume de France, la construction d'un État royal prend peu à peu le pas sur un monde féodal qui, pour autant, ne disparaît pas. Cette problématique est au cœur des interrogations actuelles des médiévistes, qui l'envisagent à travers trois prismes différents mais complémentaires : judiciaire et juridictionnel, fiscal et, enfin, militaire. La principauté bretonne offre un bel exemple « régional » où il est possible d'observer ce processus d'intégration qui met aux prises de nombreux acteurs : le pouvoir royal, le duc, et les aristocraties nobiliaires et ecclésiastiques.

1199 : un tournant de l'histoire de Bretagne

Au tournant des XIIe et XIIIe siècle, la Bretagne passe de la domination des Plantagenêts à celle des Capétiens. À cet égard, l'année 1199 marque un tournant majeur. Deux évènements changent profondément le cours de l’histoire. Le premier est la disparition du jeune duc Arthur, assassiné, si l'on suit les chroniqueurs, de la main même de son oncle Jean sans Terre, le roi d'Angleterre. Le second est la fin de la querelle métropolitaine opposant Dol à Tours. L'évêque de Dol et le duc renoncent à toute prétention archiépiscopale et se soumettent à Tours, où le roi capétien conserve un réel pouvoir.

Scène de chasse représentant Jean sans Terre.  Cotton MS Claudius D II, feuillet 116. The British Library.La première décennie du XIIIe siècle est marquée par la mainmise de Philippe Auguste sur la principauté bretonne. Celle-ci s'exprime notamment quand, en 1213, son cousin Pierre de Dreux épouse la duchesse Alix, née de l'union de Constance de Bretagne et Guy de Thouars. Pourtant, un accord conclu à Paris en 1209 entre ce même Guy de Thouars, et Alain de Goëlo, prévoyait le mariage entre leurs enfants, les jeunes Alix et Henri, établissant l'unité d'une Bretagne trop souvent tiraillée entre Nord et Sud.

Sous Pierre de Dreux, une aristocratie qui se tourne vers le roi de France

Impliqué dans les affaires de la royauté, la mort prématurée de Louis VIII et sa succession controversée conduisent Pierre de Dreux à se dresser face au jeune roi Louis IX et à sa mère, Blanche de Castille. Il s'attache au roi d'Angleterre et se rend coupable d'exactions sur les aristocrates de sa principauté. En privilégiant la voie des armes, il pousse une bonne partie d'entre eux dans les bras du roi de France. Par les enquêtes menées en 1235 dans le nord du duché, celui-ci offre à cette aristocratie les moyens d'exprimer les griefs ressentis à l'encontre du duc. Si la présence du roi Louis IX en Bretagne est rare et liée à des expéditions militaires, peu à peu, l'aristocratie bretonne tourne son regard vers l'est, notamment grâce à des alliances matrimoniales avec des familles françaises.

À partir de 1270, vers une intégration administrative de la principauté bretonne

Les marqueurs d'une intégration de la principauté bretonne au royaume de France s'observent de façon plus prononcée à partir de l'avènement de Philippe III, en 1270, et surtout durant les règnes de Philippe le Bel et ses fils. Les affaires judiciaires bretonnes se règlent désormais, en dernier ressort, devant la justice royale. Les progrès de la fiscalité de l'État royal en Bretagne sont notables, tant au travers d'une croissance et d'une diversification de la fiscalité directe sous les derniers Capétiens, que par la tendance marquée d'un contrôle royal de la monnaie ducale. Sur le plan militaire, l'intégration de Bretons au sein de l'appareil militaire du roi est plus poussée. Ce processus à l'œuvre s'observe également sur le plan territorial. À cet égard, l'exercice d'une souveraineté royale sur la mer et les côtes devient un enjeu majeur aux yeux du pouvoir capétien.

Philippe III recevant de Jean Wauquelin les « Chroniques de Hainaut ». Bibliothèque royale de Belgique.Sur le plan institutionnel, le long XIIIe siècle se caractérise donc en France par la naissance d'une monarchie administrative dont la Bretagne n'est pas exclue. Toutefois, il ne faut pas y voir un mouvement vertical, du haut vers le bas. Dans un paysage géopolitique éclaté et mouvant, chacun cherche à préserver ses intérêts et à faire valoir ses droits. D'ailleurs, parallèlement au pouvoir royal, cette période est marquée par les progrès notables du pouvoir ducal. Il ne faut pas négliger, en Bretagne comme ailleurs, les résistances engendrées par ce processus de construction d'un État royal. Plus tard, l'avènement de Jean IV de Montfort en 1365, au terme de la guerre de Succession qui déchire l'aristocratie bretonne, marque les débuts de l'État breton et le retrait d'un État royal en crise.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Vincent Launay, « Existe-t-il un « âge d'or capétien » en Bretagne ? », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 18/10/2019.

Permalien: http://www.bcd.bzh/becedia/fr/existe-t-il-un-age-d-or-capetien-en-bretagne

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Cassard Jean-Christophe, L’âge d’or capétien 1180-1328, Paris, Belin, 2011.
  • Hélary Xavier, L’armée du roi de France. La guerre de saint Louis à Philippe le Bel, Paris, Perrin, 2012.
  • Hilaire Jean, La construction de l’État de droit dans les archives judiciaires de la cour de France au XIIIe siècle, Paris, Dalloz, 2011.
  • Leguay Jean-Pierre, Martin, Hervé, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Rennes, Ouest-France Université, 1982.
  • Morvan Frédéric, La chevalerie bretonne et la formation de l’armée ducale 1260-1341, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité