Maîtriser la production énergétique locale : un objectif à favoriser

Yves Lebahy">

Valoriser l’idée de « bouquet énergétique » et les productions endogènes

Plutôt que de s’enfermer dans quelques filières privilégiées, ce qu’imposait jusqu’alors l’entreprise monopolistique EDF, il apparaît que, pour répondre à ce besoin d’énergie renouvelable par essence éclatée en multiples filières et lieux de production, il faut désormais avoir une tout autre approche : celle qui utilise au maximum, dans un concept de développement durable, les potentialités des milieux où l’on vit, et privilégier la pluralité des sources d’approvisionnement afin de constituer ce que l’on nomme « le bouquet énergétique ».

Par ailleurs, sur un territoire d’habitat dispersé à l’organisation polycentrique, dont la société manifeste des comportements profondément citoyens, il apparaît nécessaire de concevoir la production d’énergie sur des bases différentes de celles que nous ont imposées les logiques d’État et des multinationales de l’énergie.

Pour cela il est nécessaire de repartir des potentialités du milieu dans une logique fractionnée des unités de production : « les petits ruisseaux font les grandes rivières ». Terre de forêt linéaire, de cours d’eau nombreux, territoire maritime, la Bretagne offre un potentiel énergétique que très tôt nos sociétés ont su utiliser : bois de chauffage, moulins, moulins à marée ont longtemps été les sources ou les formes d’énergie utilisées. Il nous faut à présent les adapter aux techniques nouvelles pour mieux les valoriser.

Valoriser la forêt bretonne et le bocage

La filière bois-énergie, en lien avec un bocage à reconstituer, constitue une option intéressante qui combine entretien des paysages, diversification de l’activité agricole et emplois, réseaux courts de distribution. Le bois bûche fournissait déjà, en 2013, l’équivalent de 3 423 GWh à 403 000 foyers équipés (34 % l’utilisant en mode de chauffage principal), soit 4 % de la consommation régionale d’énergie. Mais l’avenir semble davantage tourné vers l’utilisation du bois déchiqueté, fournissant les chaufferies de collectivités. En 2013, les 314 chaufferies recensées alimentant bâtiments résidentiels et tertiaires, agricoles, collectivités (certaines chaufferies étant reliées à des réseaux de chaleur) délivraient une puissance de 247 MW. C’est sous cette forme que l’énergie bois se développe le plus : depuis 2000, la puissance installée a été multipliée par 7 et la production par 9.

La petite hydraulique, une ressource ignorée

Le potentiel hydrologique de nos cours d’eau est à l’inverse totalement ignoré. Il y a encore un siècle, il y avait pourtant en Bretagne près de 3 500 moulins qui animaient les minoteries, les tanneries, le sciage, les fabriques de pâte à papier, les métalleries.

Les eaux courantes de nos rivières pourraient alimenter tout un réseau de microcentrales au fil de l’eau, assurant régularité et prédiction d’approvisionnement moins aléatoire que le vent qui fait tourner les éoliennes. Nous possédons la technologie apte à valoriser cette énergie : un des principaux fabricants de microturbines au fil de l’eau, internationalement reconnu, mène ses activités à Lorient. Malgré cela, ce potentiel tant naturel que technique est ignoré, et rejeté par les écologistes, qui s’opposent à toute rupture de la continuité hydrique d’un cours d’eau. Mais des solutions simples existent, qui permettraient d’assurer cette continuité hydrique et biologique, pour peu que l’on s’y penche un peu. De même le potentiel hydroélectrique des barrages peut-il être amplifié : rôle de réservoir-tampon de Guerlédan par exemple, permettant de lisser les productions en fonction de leur côté aléatoire.

Le formidable espoir des énergies marines

Quant à l’énergie offerte par la mer, la Bretagne possède là un potentiel de développement formidable (hydroliennes, centrales houlomotrices). Mais, comme le montre déjà la distribution des sites de maintenance, la région deviendrait dépendante de grands groupes de l’offshore dont les stratégies ne sont pas forcément en adéquation avec ses propres objectifs de développement. Toutefois, cette forme d’énergie reste incontournable dans l’avenir et offre un superbe potentiel qu’il serait stupide d’ignorer. Aux communautés littorales de se l’approprier.

Reterritorialiser les systèmes de production

Nous l’avons constaté, l’approche par filière est trop souvent soumise aux intérêts de grands groupes financiers ou techniques extérieurs à la région (cas de la centrale au gaz de Landivisiau). C’est vers des solutions locales, au plus près des populations et reposant sur un « mix énergétique », qu’il convient de se tourner pour une autonomie régionale en matière de production d’énergie. Elles seules sont en mesure de responsabiliser le citoyen, le premier gisement d’énergie reposant avant tout sur les économies à réaliser en termes de consommation. De même, toutes les potentialités locales de production d’énergie devraient être mises en valeur avant de recourir à son importation via les réseaux de connexion. Ce devrait même être une véritable cause régionale en faveur du développement durable. Elle briserait les monopoles existants en ce domaine, lesquels imposent leurs logiques exogènes. Ainsi, le consommateur est d’emblée responsabilisé face aux inconvénients que tout système de production génère, devenant acteur du développement durable.

Et en cela le projet énergétique du Mené constitue un exemple à suivre. Démarré en 2005, il combine, dans un bouquet énergétique produisant de l’électricité issue de l’éolien et de la méthanisation, une production de bois et d’huile de colza fournissant les réseaux locaux de chaleur et les besoins en carburant. Assurant déjà à ses 5 500 habitants 30 % de leurs besoins, il prévoit l’autonomie énergétique de son territoire d’ici 2025. Nous sommes là véritablement devant un projet responsable, émanant d’un territoire qui s’inscrit parfaitement dans cette vision d’un développement durable, original et responsable, qui s’adapte tout à fait à l’organisation polycentrique traditionnelle de la région. Ne reste qu’à l’appliquer aux autres territoires de Bretagne.