Thomas Dulain, un pirate breton dans les Caraïbes

Auteur : Kévin Porcher / juillet 2020
La vague de piraterie qui suit la fin de la guerre de Succession d’Espagne, en 1713, voit l’émergence de forbans célèbres, tels que Edward Teach (« Barbe Noire ») ou Bartholomew Roberts. Bien que moins connus que leurs homologues anglo-américains, plusieurs pirates originaires du royaume de France se distinguent également : parmi eux, le parcours du breton Thomas Dulain est particulièrement bien éclairé par les archives.

« Je ne suis né pour faire le métier de pirate »

Fils d’un avocat, Thomas Dulain naît le 20 novembre 1704 à Batz-sur-Mer et grandit au Pouliguen, dans une famille qualifiée d’aisée et d’honorable. À la mort de son père, il s’engage avec son frère dans une carrière d’officier de la marine marchande. Pour une raison inconnue, ils désertent pourtant en Martinique, le premier en 1723 et le second en 1726. Après une période difficile de « vagabondage » dans les Îles du Vent (colonie regroupant la Martinique, la Guadeloupe et la Grenade), les frères Dulain se résignent à devenir corsaires pour le compte des Espagnols. En 1728, en raison du meurtre de son frère par des marins espagnols, Thomas Dulain provoque une mutinerie. Victorieux, il est nommé capitaine par les mutins et se lance dans une carrière de pirate.

Il donne le nom de Sans-Pitié à son navire et parvient à enrôler un équipage de plus de 120 pirates « tant blancs que noirs ». Si quelques-uns sont Anglais, la plupart proviennent de la Martinique et de la Guadeloupe. Les spécialistes, comme les pilotes, les chirurgiens ou les charpentiers, sont en revanche recrutés de force sur les navires capturés. Dans une lettre, Dulain qualifie lui-même son équipage « d’ennemis du genre humain » et reconnaît qu’il parvient difficilement à réfréner la violence de ses hommes. Il instaure donc un règlement strict à bord, qui réprime aussi bien les altercations que les abus d’alcool, les vols ou les manquements aux ordres. Les contrevenants sont exposés aux punitions corporelles ou à la mort.

Les prises d’un des derniers pirates des Caraïbes

S’embusquant près des principales voies de navigation, Dulain utilise l’île de la Dominique (non colonisée et théoriquement réservée au peuple Kallinagos) comme repaire. Durant l’année 1728, nous pouvons lui attribuer au moins une vingtaine de prises : la plupart sont localisées aux alentours de la Dominique, de la Guadeloupe et de la Martinique, irritant ainsi le gouverneur général établi à Fort-Royal (Fort-de-France). Dulain attaque des navires de toutes nationalités, qu’il s’agisse de bateaux antillais naviguant entre les îles ou de vaisseaux marchands européens.

Les Caraïbes, théâtre des opérations de Thomas Dulain. Carte de la zone caraïbe par Nicolas Sanson, 1656. Gallica / Bibliothèque nationale de France : département Cartes et plans, GE DD-2987 (8948).Comme la plupart des pirates, Thomas Dulain reste avant tout un « voleur de mer » qui cherche à limiter les risques encourus par son navire et ses hommes : il n’attaque que des navires plus petits et moins armés que le sien. Les forbans ne s’acharnent pas dans de glorieux combats, ils ne s’intéressent qu’aux attaques sûres et rentables. Quelques coups de semonce et la levée du pavillon noir suffisent souvent à motiver la reddition des navires attaqués. Les abordages violents sont en réalité extrêmement rares et les activités des pirates occasionnent beaucoup moins de décès que les attaques des flibustiers (corsaires d’Amérique) en temps de guerre. Ces prises, modestes, permettent néanmoins aux pirates d’accumuler un butin de pièces d’or et d’argent estimé à 160 000 livres par un prisonnier évadé. Le « grand coffre où était leur trésor » est confié à la garde du lieutenant de Dulain, Antoine Durand, originaire de Lyon.

Abandon de la piraterie et permanence de la violence

Face à ces pirates, le gouverneur général des Îles du Vent tente tant bien que mal d’organiser la défense de la colonie. Cependant, faute de vaisseau de guerre stationnant dans les Îles du Vent, il en est réduit à mobiliser des navires marchands qui se révèlent peu efficaces. Sentant le vent tourner, Dulain part néanmoins se réfugier près de l’île de la Tortue (Vénézuela) en janvier 1729 et écrit à plusieurs reprises au gouverneur pour négocier son amnistie, ce qui lui est toujours refusé.

Dulain décide donc de trahir ses hommes et de les abandonner sur l’île de la Tortue alors qu’il leur a accordé quelques heures de loisir à terre. Accompagné seulement d’une poignée de fidèles, et de son butin, Thomas Dulain traverse l’Océan Atlantique et conduit le Sans-Pitié au Pouliguen. Grâce à l’intervention de sa mère auprès des autorités nantaises, il finit par obtenir son amnistie en mars 1729 : il cache toutefois son coffre pour éviter sa confiscation par les agents royaux. Malgré les enquêtes, le butin n’est jamais retrouvé mais il est probable qu’il ait été écoulé en sous-main aux alentours du Pouliguen et de Nantes.

Dulain ne parvient cependant pas à rentrer dans le rang : le 9 avril 1729, quelques jours seulement après son amnistie, il est arrêté pour avoir tenté de tuer un homme d’un coup d’épée. Incitées par la mauvaise réputation de l’ancien pirate, mais désirant agir discrètement pour ne pas salir la bonne renommée de sa famille, les autorités nantaises décident de garder Dulain sous surveillance à Pouancé, loin de la mer, aux marges de la Bretagne et de l’Anjou. Dernier grand forban français des Caraïbes, Thomas Dulain disparait des sources, à l’âge de 24 ans, en étant toujours considéré comme un pirate.

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Auteur : Kévin Porcher, « Thomas Dulain, un pirate breton dans les Caraïbes », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 6/07/2020.

Permalien: http://www.bcd.bzh/becedia/fr/thomas-dulain-un-pirate-breton-dans-les-caraibes

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