La toponymie bretonne

Ligne deux : « …dimidiā (dimidiam) plebis quȩ (quae) vocať (vocatur) guicbri… » traduction : la moitié de la plebs (paroisse) que l’on appelle Guipry ». Cartulaire de Redon, charte n° CCXXIII, f°132 v°, datée de 913. Crédit : Association Archives historiques du diocèse de Rennes. Photo. Philippe Lanoë

Auteur : Philippe Lanoë / novembre 2016

La toponymie est l’étude des noms de lieux. Elle témoigne de l’appropriation de l’environnement géographique et de l’occupation d’un territoire par ses habitants. Source utile pour l’histoire linguistique et l’histoire tout court, les toponymes constituent aussi un patrimoine auquel les habitants de la Bretagne sont attachés.

Limites de la toponymie

Son utilisation comme source de l’histoire remonte à la fin du xixe siècle. Elle paraissait alors pouvoir suppléer l’absence de données archéologiques et de sources écrites pour percer le mystère du peuplement et de l’organisation sociale d’un territoire donné.

En Bretagne, pays pauvre en sources écrites, René Largillière explique ainsi l’organisation de la société bretonne au temps des migrations des ve et vie siècles. Il décrit un réseau de grandes paroisses organisées par le clergé (les saints bretons) en s’appuyant sur les noms de paroisses en « Plou- ».

Très tôt, les historiens ont perçu les limites de cette science annexe.

Il est parfois difficile d’apporter une explication sûre au sens de ces toponymes. En effet, lorsqu’ils ne sont plus compris, ils sont réactualisés et transformés. Les quelques formes anciennes ne permettent pas toujours de restituer le nom d’origine et d’en donner le sens réel. Le risque d’erreur et d’interprétation arbitraire est grand.

Il faut aussi être prudent sur la pratique d’une langue. La toponymie reflète plus la domination d’une langue que sa diffusion réelle. Les noms de lieux du Cartulaire de Redon (IXe-XIIe siècle) pourraient laisser croire que la très grande majorité de la population de la région de Redon parlait alors breton, or la langue disparaît de cette région dès le XIIe siècle.

Des apports importants en Bretagne

La toponymie, en complément de l’archéologie et des sources écrites, apporte cependant un éclairage précieux sur l’histoire du peuplement et des langues en Bretagne. Les toponymes sont de bons indicateurs de sites archéologiques. Les noms « La Bouexière/Beuzit » (lieu planté de buis) apparaissent à la proximité de sites gallo-romains et « La Motte/Ar Voudenn » désigne une motte féodale. Ils apportent aussi des indications sur la géographie historique. Les limites des cités gallo-romaines sont repérées par des noms comme Ingrande, issu d’un mot gaulois désignant un passage sur une frontière, et par le latin basilica (bâtiment public destiné aux échanges économiques), qui a donné le nom Bazouge(s). C’est aussi une source pour l’histoire interne de la langue bretonne comme le montrent les travaux d’Erwan Vallerie.

La superposition de plusieurs couches linguistiques, gauloise, latine, bretonne puis romane, offre à la Bretagne un riche terrain d’étude. Le phénomène le plus marquant est la bretonnisation de la péninsule liée aux migrations, sans doute facilitée par le maintien partiel du gaulois.

Cependant, la langue bretonne ne s’est pas imposée partout et des îlots romans ont longtemps subsisté en Basse-Bretagne (La Feuillée, Rédéné, Berné, Morlaix, etc.), comme, à l’inverse, des îlots bretonnants à l’est.

Une nouvelle organisation sociale, tant civile que religieuse, est centrée sur des unités territoriales dénommées plebs dans les textes. Les noms composés avec le préfixe « Plou- » gardent partiellement la mémoire de cette organisation. Cependant, toutes les plebs n’ont pas agglutiné ce préfixe dans leur nom.

La forte croissance démographique des XIe- XIIIe siècles s’inscrit dans le paysage avec les nombreux noms en « Ker- », qui remplacent à cette période le préfixe « Treb- » du haut Moyen Âge pour désigner une unité agraire. Parallèlement, en Haute-Bretagne apparaissent des noms avec le suffixe « -ière » ou « -érie » puis un peu plus tard « -ais ».

Entre les deux, de nombreux noms composés avec le mot « La Ville », équivalent de « Ker- », témoignent du passage du breton au roman dans cette zone mixte comme par exemple à Comblessac où le nom du village « La Villéan » était écrit « Keréan » au XIVe siècle.