Lancastria, une histoire oubliée

Auteur : Hubert Chémereau / juin 2019
Le 17 juin 1940, le naufrage du Lancastria en rade de Saint-Nazaire provoque trois fois plus de victimes que celui du Titanic. Cette comparaison n’est pas sans fondement si l’on veut bien considérer qu’il s’agit là de deux gigantesques et luxueux transatlantiques britanniques armés par la célèbre compagnie Cunard. Mais là s’arrêtent les points communs puisque c’est bien comme navire de guerre que sombre le Lancastria. Un silence assourdissant va d’ailleurs occulter durablement la plus grande catastrophe maritime de l’histoire britannique.

Le contexte historique du naufrage du paquebot de la Cunard n’est pas étranger à cet oubli. En juin 1940, les mauvaises nouvelles s’accumulent pour les Britanniques alors qu’ils tentent de sauver leur corps expéditionnaire pris au piège du rouleau compresseur allemand. La presse passe sous le contrôle des autorités militaires et le Premier ministre Winston Churchill exige une censure totale sur les informations pouvant démoraliser la population. La perte du Lancastria n’est connue que sommairement, un mois et demi plus tard, à travers une brève publiée dans le Daily Mirror, information noyée dans un océan de mauvaises nouvelles, qui, de plus, minimise les pertes en avançant le chiffre de 2 823 morts alors que les estimations les plus crédibles oscillent entre 4 000 et 5 000 disparus.

La flotte de la Cunard entre dans la guerre

À partir de 1939 le RMS Lancastria sert à l’effort de guerre britannique. En mai 1940, il est engagé dans le rapatriement du corps expéditionnaire franco-britannique en Norvège. Devant l’avancée allemande, les Britanniques mettent sur pied l’opération Aérial pour rapatrier leurs troupes à partir des ports de la côte atlantique. Au soir du 15 juin, le Lancastria, arrivé en rade de Plymouth, reçoit l’ordre de mettre cap sur Brest en compagnie du Franconia. À l’approche de Brest, les Britanniques aperçoivent des colonnes de fumée provenant des dépôts de carburant en feu. Les deux liners reçoivent l’ordre de faire route vers Quiberon. En début de soirée, un avion allemand largue quatre bombes sur le convoi. Le Lancastria sort indemne de cette attaque. Mais le Franconia, touché par une bombe, déplore plusieurs voies d’eau. Son commandant se résout à faire demi-tour alors que le Lancastria  fait route vers Saint-Nazaire.

Quarante mille Britanniques et Polonais rembarquent à Saint-Nazaire

Aux abords du port breton, des colonnes de véhicules militaires sont abandonnées après avoir été mis hors d’usage. La zone portuaire présente l’image d’un désordre indescriptible, avec des tonnes de matériel et autant de stocks de ravitaillement laissés à l’abandon. Les soldats se massent par milliers sur le remblai et dans la zone portuaire, tentant de fuir par tous les moyens l’avancée allemande pour quitter la France. Un temps conçue comme un réduit duquel pourrait jaillir une contre-attaque, la péninsule armoricaine se transforme en nasse. Observant l’intense activité maritime, les soldats attendent l’ordre d’embarquement sur une multitude d’unités civiles et militaires qui pourront les mener sur les bâtiments qui mouillent dans la rade.

Le Lancastria va couler en 24 minutes

Les commandants des navires ont pour instructions de prendre à leur bord le maximum de passagers et de ne pas tenir compte des normes de sécurité requises de temps de paix. De son côté, le paquebot Oronsay lève l’ancre alors qu’il est pris pour cible par des avions allemands. L’après-midi est ponctuée par des attaques ennemies sans que le Lancastria  lève l’ancre, alors qu’il a à son bord environ 9 000 passagers pour une capacité normale trois fois inférieure.

Faisant route sur le Lancastria, l’équipage du destroyer Highlander assiste impuissant à l’agonie de milliers de passagers. Collection Yves Beaujuge.À 15 h 45, sortant du soleil, un Junkers JU 88 largue deux bombes qui manquent le Lancastria de justesse. Trois minutes plus tard, un autre JU 88 arrive à basse altitude et, tout en mitraillant le liner, largue quatre bombes. La première atteint la cale n° 2. Elle provoque un véritable massacre dans les ponts inférieurs où se trouvent 800 membres de la Royal Air Force. La seconde explose à proximité de la cheminée alors que la troisième pénètre dans la cale n° 3 où elle pulvérise les réservoirs à mazout, déversant à la mer plus de 500 tonnes d’hydrocarbures. La quatrième donne le coup de grâce : en explosant dans la cale n° 4, elle provoque une importante brèche dans la coque du navire. L’eau jaillit de toutes parts. De l’arrière du Lancastria le mazout coule à flots, alimentant une épaisse nappe visqueuse où se débattent des naufragés. À 16 h 02, l’avant du paquebot de la Cunard est totalement sous les eaux. Dans les minutes qui suivent, les survivants s’agrippent sur la coque retournée et assistent impuissants à l’horrible agonie de centaines des leurs emprisonnés à l’intérieur du liner. À 16 h 12, le Lancastria disparaît de la surface d’une mer étrangement calme. La course contre la montre pour sauver un maximum de naufragés est engagée.

La population bretonne, entre solidarité et traumatisme

On compte un grand nombre d’actes d’héroïsme pour arracher des victimes à la mort, et en particulier des enfants puisque nombre de civils belges sont montés à bord. Des dizaines d’embarcations affluent de toute la côte. Les Britanniques seront infiniment reconnaissants envers ces marins bretons qui, au péril de leur vie, sauvent des centaines de naufragés sous la mitraille allemande. À terre, la réception des blessés s’organise. La population nazairienne reste profondément traumatisée par ce drame. Durant des semaines, la mer rejette sur la côte des centaines de corps entre Piriac et Noirmoutier. En pleine guerre, la population de la côte va même défier l’occupant en donnant une sépulture digne à ces malheureux.

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Auteur : Hubert Chémereau, « Lancastria, une histoire oubliée », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 7/06/2019.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/lancastria-une-histoire-oubliee

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Hubert Chémereau, « Lancastria, le Titanic breton oublié », ArMen, n° 190, Septembre 2012, p. 44 -51.
  • Jonathan Fenby, The Sinking of the Lancastria, London, Simon & Schuster, 2005.
  • Site internet du Nazairien Yves Beaujuge : http://www.lelancastria.com/index.php/fr/

Proposé par : Bretagne Culture Diversité