L’Ankou en Basse-Bretagne

Auteur : Daniel Giraudon / novembre 2016
La Bretagne a souvent été présentée par les écrivains romantiques comme le pays de la mort. C’était déjà le cas avec Jacques Cambry au XVIIIe dans son Voyage dans le Finistère mais une telle image trouve ses plus grands développements dans l’ouvrage magistral d’Anatole Le Braz La légende de la mort en Basse-Bretagne publié en 1893 et ses nombreuses rééditions. Sur ces pages plane constamment l’ombre de l’Ankou que nous avons à notre tour suivi sur les chemins creux de Basse-Bretagne.

Origine du nom et représentations anciennes

L’Ankou est la personnification de la Mort et/ou son ouvrier dont le rôle est de venir chercher les moribonds pour les conduire dans l’autre monde après les avoir fait passer de vie à trépas. Il tire son nom d’une racine celtique nek signifiant tuer, périr. La première mention connue de ce terme est une glose d’un texte latin remontant au IXe siècle.

Ossuaire de la Roche-Maurice (29). Sur le bénitier de l’ossuaire, l’Ankou se fait menaçant. On y lit : Je vous tue tous. Photo Daniel Giraudon
L’Ankou figure dans la statuaire et la peinture dans le cadre des églises et ossuaires de Basse-Bretagne. Il se présente sous la forme d’un squelette muni d’un attribut. Il est également présent dans la littérature en breton des XVIe et XVIIe siècles, comme personnage de théâtre et il est encore évoqué dans certains poèmes de ces époques. Enfin, plus récemment, il tient une bonne place dans les contes et légendes populaires de tradition orale.

Les différentes fonctions de l’Ankou et ses attributs

Outre celles de meurtrier et de conducteur des défunts dans l’au-delà, la croyance populaire lui attribue d’autres fonctions dont celles de fossoyeur, de messager de la mort, ou encore de justicier (voir encadré). Contrairement à ce que l’on pense habituellement, son attribut le plus courant à l’origine n’est pas la faux. En effet, dans ses représentations les plus anciennes que ce soit sous forme sculptée, peintes ou bien dans la littérature, il brandit selon les cas, une lance, un javelot, une flèche empennée. En outre, dans son rôle de fossoyeur, il est muni d’une pelle, d’un pic ou d’une houe. Ce n’est que sous la plume des folkloristes du XIXe siècle et plus tard qu’il va prendre en main l’outil du faucheur de vie. Sa fonction de messager de la mort, se traduira quant à elle par l’intersigne des roues grinçantes de sa charrette, karr an Ankou, à la nuit tombante, trois jours avant un décès dans la famille ou le voisinage de celui qui l’entend. Il est secondé dans cette tâche par l’oiseau de la mort, la chouette effraie, lapous an Ankou dont le cri nocturne glace le sang.

Plus on avance dans le temps, plus l’Ankou prend de l’épaisseur humaine au gré des croyances ou de l’imagination populaire.

L’Ankou dans la tradition orale jusqu’à nos jours

Suivant les secteurs de Basse-Bretagne, l’Ankou est le premier mort de l'année ou le dernier de l’année précédente. Autrement dit, il est renouvelé tous les ans. Son âge a son importance. S’il est jeune, il cherche à emporter des gens de sa génération. Si c’est une personne âgée, les anciens ont du souci à se faire dans les mois à venir. Le caractère de celui qui tient le rôle de l’Ankou a aussi ses conséquences. S’il a la réputation d’avoir été une personne méchante, il ira chercher beaucoup de monde.

Il n’est pas seul à effectuer sa besogne. Il est aidé par le second sur la liste des défunts d’une paroisse. C’est lui qui guide le cheval par la bride, ouvre les barrières ou procède aux chargements.

Plutôt que drapé dans un linceul, l’Ankou breton, tel qu’il est décrit à partir du XIXe siècle, est vêtu comme les gens du pays. Il dissimule son visage sous un feutre noir à large bord sous lequel on distingue ses cheveux longs et blancs. On devine également sa grande silhouette squelettique sous un long manteau noir.

Le descendant d’un dieu ?

Certains chercheurs ont voulu établir un rapprochement entre l’Ankou et Sucellos, le dieu gaulois au maillet à partir d’une expression bretonne, morzholig an Ankou, le petit marteau de la mort, nom de la vrillette, un insecte dont les coups dans le bois est (sont) un intersigne funeste. Cependant, cet outil ne figure pas dans la panoplie criminelle de l’Ankou. En revanche, un autre élément de croyance également en lien avec la mort, le maillet béni, ar mell benniget pourrait fournir une piste allant dans ce sens. Mais là encore, aucun témoignage à ce jour n’a mis cet objet dans les mains de l’Ankou.


Dieu gaulois au Maillet à Saint-Brandan (22). On a voulu rapprocher l’Ankou du Dieu gaulois au maillet, Sucellos, dont une superbe statue subsiste dans la campagne de Saint-Brandan. Photo Daniel Giraudon

Aujourd’hui, l’Ankou est un personnage de bandes dessinées et il est parfois présent de manière symbolique dans les cortèges qui manifestent contre les fermetures d’entreprises.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Daniel Giraudon, « L’Ankou en Basse-Bretagne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 18/11/2016.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/lankou-en-basse-bretagne

Bibliographie

  • CROIX Alain, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, La vie, la mort, la foi, Maloine éditeur, Paris, 1981.
  • GIRAUDON Daniel, Sur les chemins de l’Ankou, croyances et légendes de la mort en Bretagne, Yoran embanner, Fouesnant, 2012.
  • LE BERRE Yves, Entre le riche et le pauvre, La littérature du breton entre 1450 et 1650, Emgleo Breiz, Brest, 2012.
  • LE BRAZ Anatole, La légende de la Mort en Basse-Bretagne, Champion, Paris, 1893.
  • LE MENN Gwennole, La mort dans la littérature bretonne du XVe au XVIIe siècle, Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, Tome LVI, 1979, pp. 5-39.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité