Le campagnol amphibie

Ce rongeur si particulier
Autrice : Aline Moulin / novembre 2024
Lorsque l’on pense « campagnol », vient à notre esprit l’image de petits rongeurs évoluant dans nos jardins et dans les champs, se délectant de racines, creusant de petites galeries et régalant les chats, les renards, les rapaces, etc. Mais il en existe un bien différent des autres : le campagnol amphibie. Ce petit mammifère n’a en effet ni la même taille, ni la même écologie que les autres campagnols. Et celui qui vit en Bretagne a une spécificité supplémentaire : il est soit diurne, soit nocturne.

Bien plus grand que ses cousins que nous croisons régulièrement dans les jardins, ce grand spécimen peut atteindre jusqu’à 23 centimètres hors queue et peser jusqu’à 300 grammes pour les plus gros. Il est aussi le seul campagnol protégé, classé « quasi menacé », et ce depuis 2012. Son aire de répartition est limitée et se cantonne à l’ouest de l’Europe.

Aire de répartition du campagnol amphibie. Source : Groupe mammalogique breton.

 

Mais son excentrisme ne s’arrête pas là. De son nom scientifique Arvicola sapidus (du latin arvicola, « qui vit dans les champs » et sapidus, « qui a du goût »), le campagnol amphibie est aussi appelé « Rat d’eau ». Comme son nom en français l’indique, le Campagnol amphibie est inféodé aux milieux humides et proches des cours d’eau. Avec ses pattes arrière développées, il nage très bien.

Campagnol amphiblie à l'étang de Beffou (22). Crédit photo : Serge Mouhedin

Où habite le campagnol amphibie ?

Le terrier du campagnol amphibie se trouve donc généralement au bord de l’eau et il n’est pas rare qu’il comporte une issue sur les berges d’un ruisseau et une autre sur terre. Sa nourriture est aussi en lien avec cet environnement humide. Contrairement à d’autres régions, où il a été observé que le campagnol amphibie se régale exceptionnellement  de batraciens – ce qui n’a pas manqué de surprendre les naturalistes ! –, en Bretagne, le campagnol amphibie se nourrit surtout de végétaux disponibles dans son milieu de vie, c’est-à-dire de joncs, d’œnanthes, d’angéliques, etc. Ceux-ci sont retrouvés, taillés en biseau, dans ce que les naturalistes nomment des « réfectoires ». Ils ne constituent cependant pas un indice certain de présence : d’autres campagnols, notamment l’agreste, peuvent fréquenter les mêmes lieux et couper les végétaux de la même manière.

À part observer directement cet animal si discret, un autre indice permet de déceler sa présence : ses « crottiers ». Il laisse en effet derrière lui, la plupart du temps sous couvert de végétations appelées « coulées », plusieurs déjections vert olive et parfaitement calibrées (voir photo). Impossible de s’y tromper ! Est-ce par pudeur qu’il cache ses réfectoires et ses crottiers à l’abri de galeries végétales ? Non, c’est simplement par prudence. N’oublions pas qu’il reste, malgré sa taille, un rongeur, c’est-à-dire un animal de proie par excellence.

Un crottier de campagnol amphibie. Crédit photo : Groupe mammalogique breton.

Pourquoi est-il protégé ?

Le rat d’eau est désormais protégé car c’est une espèce en déclin. Mais quels dangers peuvent donc planer sur ce grand campagnol, à la maturité sexuelle précoce (à 15 jours !) et à la dynamique de population relativement importante (3 à 4 portées par an pour une moyenne de 3,5 petits par portée) ?

Certes, comme son nom de « campagnol qui a bon goût » le laisse entendre, il a été consommé par nos anciens lors des périodes de vaches maigres. Il continue aussi, bien évidemment, de délecter les grands rapaces, diurnes ou nocturnes, ainsi que les renards, les loutres, les visons, les putois, etc. D’autres facteurs, bien moins « naturels », entrent en jeu. L’introduction dans le biotope du campagnol d’espèces dites « exotiques », et considérées comme invasives, y a sa responsabilité. L’humain a en effet élevé, pour diverses raisons, puis laissé échapper des animaux tels que le Ragondin et le Rat musqué. Le premier, sans prédateurs sous nos latitudes, est fréquemment trouvé en forte densité de population. De cela découle une diminution du couvert végétal, dans lequel notre rat d’eau peut se camoufler. Le second, à la niche écologique très proche de celle du campagnol amphibie, en détruit probablement les galeries en construisant les siennes, qui sont très ramifiées. La ressemblance avec le Rat musqué a aussi une incidence négative indirecte sur le campagnol amphibie : trop souvent, malheureusement, les piégeurs peuvent confondre l’espèce invasive et l’espèce protégée.

Campagnol amphibie à l'étang de Beffou (22). Crédit photo : Eve Josse.

Au-delà de ces faits, des dangers majeurs pèsent sur l’espèce. L’artificialisation des berges et des cours d’eau, la modification du paysage rural ainsi que le sur-pâturage, le changement des pratiques agricoles et l’urbanisation toujours en expansion -tous, des facteurs anthropiques -réduisent inexorablement son habitat. Encore considéré comme commun il y a une quarantaine d’années, le Campagnol amphibie est aujourd’hui l’un des représentants de cette biodiversité dite « banale », mais en perte constante de vitesse.

L’étudier pour mieux le protéger

Depuis quelques années, des études sont menées en Bretagne sur cet étonnant animal dont nous ne connaissions finalement peu de choses. Deux pratiques existent : la plus simple étant celle de la capture-marquage-recapture (CMR). Pendant plusieurs jours, les naturalistes, sur un site donné, posent des cages-trappes qu’ils relèvent régulièrement (plusieurs fois par jour et par nuit). À la première capture d’un individu, celui-ci est marqué de façon unique (petite coupe distinctive de poils), ce qui permettra de le reconnaître lors de sa deuxième capture et de se faire une idée de la densité d’individus sur un terrain donné (pour le Rat d’eau, entre 0,5 et 5 animaux par 100 mètres de berge). La seconde, ayant pour objectif de déterminer la capacité de déplacement de l’animal, consiste à lui poser un collier émetteur afin de le « pister ». Cela a démontré que, même s’il n’est pas un grand voyageur dans l’âme, ce spécimen peut malgré tout effectuer des déplacements en cas de changements opérés sur son environnement. Lors de la dernière étude, le plus grand explorateur de l’espèce a parcouru 1 600 mètres en environ 3 semaines. D’ailleurs, sur 14 individus radiopistés, ce campagnol est demeuré le seul survivant. Est-ce que le collier émetteur aurait impacté le comportement ou la facilité de mouvements des autres ? Peut-être. Mais une chose est certaine : partir en quête d’un nouveau territoire implique de se retrouver plus facilement à découvert et donc de devenir une proie facile et convoitée.

Pour l’anecdote, lors de cette même étude, un autre campagnol avait grandement surpris les naturalistes qui suivaient sa progression. Ayant enfin retrouvé sa trace, leur étonnement fut grand d’être conduits devant un tas de palettes dans un jardin. Avec l’accord du propriétaire, ils se sont mis à l’œuvre pour découvrir… le cadavre de l’animal. Sûrement arrivé là par l’intermédiaire d’un prédateur qui l’aurait laissé échapper !

 

CITER CET ARTICLE

Autrice : Aline Moulin, « Le campagnol amphibie », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 6/11/2024.

Permalien: https://www.bcd.bzh/becedia/fr/le-campagnol-amphibie

BIBLIOGRAPHIE

Atlas des mammifères de Bretagne, Groupe Mammalogique Breton,  Éditions Locus Solus, 2015

 

Proposé par : Bretagne Culture Diversité