L’épopée des Seiz Breur, mythe et réalité

Photo de groupe à Douarnenez en 1935. À droite, René-Yves (debout) et Suzanne Creston (assise) ; assis à gauche de Suzanne : Youenn Drezen ; debout au milieu (chemisette et cravate) : Pierre Péron ; à gauche, Jakez Riou et son épouse. Crédit : Collection particulière DR

Auteur : Daniel Le Couédic / novembre 2016

Les Seiz Breur sont spectaculairement sortis de l’oubli au cours des années 1980 et le nom de leur fratrie a constitué depuis une estampille pour les productions artistiques et artisanales connotant le renouveau breton de l’entre-deux-guerres. Ses fondateurs et principaux animateurs ont alors trouvé une renommée qui les avait longtemps fuis.

Un contexte européen

À la fin du XIXe siècle, dans toute l’Europe, les arts appliqués prirent une importance nouvelle pour des raisons idéologiques, économiques, culturelles et sociales liées aux bouleversements engendrés par l’essor de l’industrie. Dès sa naissance, en 1898, l’Union régionaliste bretonne s’en préoccupa et plus encore, à partir de 1911, la Fédération régionaliste de Bretagne, qui regroupait les champions des « petites industries rurales », tel Alfred Ely-Monbet, et des théoriciens du renouveau breton, comme François Vallée, bon connaisseur des arts and crafts societies initiées par William Morris.

L’idée bretonne rénovée

En 1912, la Chambre des députés avait formé le vœu, annihilé par la guerre, qu’une exposition internationale se tînt sur ce thème, à Paris en 1915. Mais en 1916 des régions des arts appliqués avaient été instaurées, dotées de comités chargés de les stimuler, si bien qu’aussitôt la paix revenue l’idée d’une grande manifestation fut reprise pour 1924, avec l’intention d’augmenter la représentation régionale déjà proposée lors de l’Exposition universelle de 1900. Cette perspective mobilisa de jeunes artistes installés à Paris, mais passionnés de la Bretagne, enthousiasmés de surcroît par la naissance d’un mouvement autonomiste exaltant à leurs yeux : le Groupement régionaliste breton, bientôt rebaptisé Unvaniez Yaouankiz Vreiz, éditeur de Breiz Atao, une feuille encore éloignée des idées radicales qu’elle en viendrait à défendre. Ce petit noyau regroupait la Loudéacienne Jeanne Malivel, le Nazairien René-Pierre (dit René-Yves) Creston et son épouse, Suzanne Candré, bientôt rejoints par le Nantais Georges Robin, familier comme eux des cours de breton du Cercle Celtique dispensés par Jean Caroff à la Sorbonne.

La révélation du Ty Breiz de 1925

En 1923, Jeanne Malivel décida de regagner la Bretagne, mais sans renoncer au projet d’une participation bretonne à l’Exposition, reportée à 1925. Elle retrouva René-Yves et Suzanne Creston en juillet à la grande troménie de Locronan, puis en septembre, au pardon du Folgoët. Pour le groupe qui allait s’étoffer, mais, elle y tenait, de manière très limitée, Jeanne Malivel proposa un nom tiré d’un conte qu’elle affectionnait, Les Sept Frères, qu’elle traduisit en breton : Ar Seiz Breur. On dressa donc la liste des artistes amis et des artisans que l’on connaissait, susceptibles de concevoir le pavillon breton, que le groupe imaginait alors prendre intégralement en charge avec le secours de l’architecte Georges Dommée. Pierre Abadie-Landel, Gaston Sébilleau et Christian Lepart vinrent ainsi gonfler la troupe, dont l’ambition de renouveler l’ordinaire breton en s’appuyant sur les savoir-faire traditionnels devait se prolonger au-delà de l’Exposition.

Mais une autre organisation avait pris corps dans le même but, appuyée sur les institutions qui comptaient, avec pour mentor le peintre Jean-Julien Lemordant alors au pinacle, personnification de la jeunesse brisée par la guerre. Dépourvus de financements et de réseau, les Seiz Breur ne pouvaient l’emporter. Toutefois, leur pugnacité fut telle et leurs esquisses si convaincantes qu’ils purent aménager l’Osté, grande salle commune installée dans le Ty Breiz. Mobilier, objets et décors : tout dans cette pièce leur était redevable. Leur contribution fut remarquée et récompensée. Pourtant, à peine écrite, une page déjà se tournait. En effet, Jeanne Malivel n’avait pas même visité le pavillon : récemment mariée et déjà minée par la maladie qui l’emporterait le 2 septembre 1926, elle avait pris ses distances.