Le conte en Bretagne

L'héritage des bardes

Le mouvement d’intérêt pour la culture populaire qui naît en Europe (Ecosse, Angleterre, Allemagne) dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, conduit à rechercher dans les manuscrits, et à défaut dans les mémoires, les souvenirs d’un passé «celtique». C’est pour une bonne part une réaction contre l’emprise intellectuelle française du Siècle des Lumières. En France les regards se tournent vers la Bretagne qui apparaît comme l’Ecosse de la France.

Pour Jacques Cambry, les contes de Perrault demeurent la référence. Dans son Voyage dans le Finistère, rédigé en 1795, le futur président de l’Académie celtique rapporte quelques récits légendaires sur les korrigans, la ville d’Is, l’histoire d’un Midas breton (le roi Portzmarc’h aux oreilles de cheval), d’un Barbe-Bleue dans la forêt de Quimperlé.


  • « La Bretagne revendique sur Ma Mère-Loye et sur Pérault, les contes de Barbe-Bleue, du Chat-Botté, du Marquis de Carabas et même le Petit-Poucet.... Mais je m’arrête enfin pour ne pas révolter par tant de prétention et d’avantages, l’orgueil des nations jalouses... »

    Jacques Cambry (1749-1807)

Les korrigans sont souvent associés aux mégalithes.
Illustration de Louis Ridel, 1913. Coll. Musée Départemental Breton. Quimper.
Saint-Marc représenté avec une tête de cheval (marc'h en breton = cheval).
Évangéliaire du IXe siècle (Landévennec ?). Bibliothèque municipale. Boulogne.

Le roi aux oreilles de cheval

«Le roi Portzmarch faisoit mourir tous ses barbiers, de peur qu’ils racontassent au public qu’il avoit des oreilles de cheval. L’intime ami du roi venoit de le raser, il avoit juré de ne pas dire ce qu’il savoit ; mais ne pouvant résister à la rage de raconter ce fait, par le conseil d’un sage, il fut le dire aux sables du rivage. Trois roseaux naissent dans le lieu, les bardes en firent des hanches de Haut-Bois qui répétoient : Portzmarch, le roi Portzmarch a des oreilles de cheval.»

Le château de Barbe-Bleue

«Un des anciens propriétaires égorgeait ses femmes dès qu’elles étaient grosses. La sœur de Saint... devint son épouse ; convaincue, quand elle s’aperçut de son état, qu’il fallait cesser d’être, elle s’enfuit ; son barbare époux la poursuit, l’atteint, lui tranche la tête et retourne dans son château. Son frère instruit la ressuscite et s’approche de Carnoët ; on lui refuse d’en baisser le pont-levis ; à la troisième supplication, sans succès, il prend une poignée de poussière, la lance, le château tombe avec le prince, il s’abîme dans les enfers : le trou par lequel il passa subsiste encore ; jamais on n’essaya d’y pénétrer sans devenir la proie d’un énorme dragon.»

« ... bannissez de votre esprit les superstitions qui sont filles de la peur et de l’ignorance [...] et souvenez-vous bien que le temps des féeries est passé et que nous vivons au dix-neuvième siècle qui doit régénérer le monde [...] L’on ne dira plus de vous cette dure vérité : que les enfants de l’Armorique sont arriérés de quatre siècles, en civilisation. »

Jean-Jacques Le Maguérèze, né à Baud vers 1770.
Ethologie Bas Bretonne. 1840.

Les contes et les légendes intéressent parce qu'ils sont potentiellement porteurs de survivances (c'est le sens premier de « superstitions ») qui témoignent de l'ancienne religion des Celtes. Mais pour certains ce sont des freins au progrès qu'il convient d'éradiquer au plus vite.

« Histoire de Barbe Bleue ». Nantes. Mercier vers 1825. Coll. Musée Départemental Breton. Quimper.