An delenn – la harpe celtique

Alan Stivell jouant de la harpe celtique aux Jeudis du port de Brest, 2013 - photo : Kergoulay - Wikimedia

Auteur : Armel Morgant / décembre 2016

Le premier mouvement de renouveau de la musique traditionnelle bretonne des années 1940 avait pris pour référence le très emblématique couple bombarde-biniou. En pleine période folk pendant les années 70, il fut pris pour emblème un instrument à cordes, alors nouvellement apparu, la harpe dite « celtique ».

Une histoire qui commence avec le romantisme

C’est véritablement à l’aube des années 1970 que la « harpe celtique » s’est popularisée en Bretagne. On entend par là un instrument inspiré de ceux de l’Irlande et de l’Écosse d’autrefois, dont nous sont restés quelques rares exemplaires. Longtemps elle fut connue comme « harpe irlandaise » ou « petite harpe » (avec ses quelque trente cordes) en comparaison avec la « grande harpe classique » (avec ses quarante-sept cordes et son système de pédales).

Le phénomène s’est préparé pendant près de deux siècles. Il remonte au romantisme, et peut-être même à l’Ossian de l’Écossais James MacPherson, paru au XVIIIe siècle, que son auteur disait être l’œuvre d’un très ancien barde écossais. L’un des événements déterminants dans cette histoire fut certainement la lettre reçue par Hersart de La Villemarqué de la part du pasteur gallois Thomas Price lui demandant, comme allant de soi : « Qu’en est-il aujourd’hui de la harpe en Bretagne ? » À la suite d’un voyage au pays de Galles, au cours duquel l’auteur du Barzaz-Breiz prit contact avec des harpistes, un harpiste gallois, accompagné de sa fille, fut invité à l’occasion du congrès celtique de 1867. Encore ceux-ci jouaient-ils de la harpe galloise, qui n’a déjà plus grand-chose à voir avec ce qu’on entend aujourd’hui par harpe celtique.

Les pionniers de la harpe en Bretagne

Le premier Breton à s’être mis à une harpe celtique est Paul Diverrès. Originaire de Lorient, il avait étudié la médecine à Paris, où il avait pris des cours auprès d’une harpiste classique. Membre et harpiste officiel du gorsedd, assemblée des « druides » de Bretagne, il épousa une harpiste galloise, et finit ses jours outre-Manche. Des photos du début du XXe siècle le montrent jouant d’une harpe Egan de fabrication irlandaise lors de manifestations néodruidiques. Il ne fit pas école, et Mme de Boisboissel, adepte, elle, de la harpe classique, lui succéda à ce poste.

Dans les années 1930, ce même gorsedd invita la harpiste écossaise Eloise Russell Fergusson à se produire en Bretagne. Gildas Jaffrenou en profita pour relever les cotes de l’instrument, et fabriqua la première harpe « celtique » de Bretagne, qui s’avéra non jouable.

L’invention de la « harpe celtique »

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que tout se concrétisa, grâce à Georges Cochevelou, Gourinois de Paris. Durant l’Occupation, il était entré en contact avec le professeur de harpe du conservatoire de Clermont-Ferrand, M. Hamonic, propriétaire d’une harpe irlandaise qui pour lui ne fut jamais qu’un instrument de voyage. Dans l’immédiat après-guerre, G. Cochevelou prit contact avec Gildas Jaffrenou qui, depuis la Grande-Bretagne, lui communiqua des plans d’instruments. Il fabriqua alors sa première harpe pour laquelle son fils Alain se prit de passion. Après avoir pris des cours auprès de Denise Mégevand et s’être fait connaître dans les milieux bretons, puis dans le monde du folk des années 1970, celui-ci se lança dans le show-business sous le pseudonyme d’Alan Stivell, popularisant l’instrument au niveau international.

Photo : Les enfants d’Annaig Renault

Harpe Cochevelou
On peut lire à l’intérieur de cette harpe l’inscription laissée par Georges Cochevelou :
“Ijinet, aozet ha kampennet on bet gant an Ao. Cochevelou e bl 1967 war an amboaz d’an Dim Anaig Renaod. Me a gano ho meleudi war an Delenn, o Doue, va Doue. »
« J’ai été imaginée, conçue et préparée par M. Cochevelou en l’an 1967. A l’intention de mademoiselle Annaig Renault. Je chanterai vos louanges à la harpe, ô Dieu, mon Dieu. »

Au début des années 1950 s’était également monté au sein de la communauté scoute bretonne de Paris un ensemble féminin de harpes, la Telenn Bleimor (la « harpe Bleimor »). La plupart de ses membres se sont fait un nom, qui dans la musique bretonne, qui dans la musique ancienne, voire dans l’enseignement : Mariannig Larc’hantec, Rozenn Guilcher, Kristen Noguès, Françoise Johannel en sont issues. On peut considérer que c’est grâce à ce double mouvement, parisien d’origine, que la harpe celtique a véritablement pris son essor.